Lorsque l'homme, riche et puissant, arriva au bord de la rivière Dwarka, tout le petit peuple qui s'y baignait termina ses ablutions sans tarder et se dispersa le long des berges.
Seul l'ascète tantrique Vamakshepa resta dans l'eau, peu impressionné par l'homme suivi de ses gardes.
Cet homme-là, désireux d'aller prier la déesse mère dans son temple de Târâpeeth, était venu se baigner, prier, accomplir les justes rituels avant sa visite au lieu saint. Il plongea donc dans l'eau, se purifia, puis se retourna sur la berge pour y sécher tout en priant.
Vamakshepa l'observa un instant avant d'éclater de rire. Il s'approcha et, riant toujours, se mit à l'asperger abondamment.
L'homme restait poli, mais cette bruyante démonstration l'ennuyait beaucoup. Il se demandait qui était ce fou qui l'aspergeait, trouvant désopilant de le déranger pendant ses prières. Ayant soudain atteint le bout de sa patience, il laissa jaillir sa colère :
- Enfin, ça suffit ! Vous ne voyez pas que je suis venu accomplir des rituels. Pourquoi me dérangez-vous ainsi ?
Ses gardes, entendant sa colère, s'approchèrent pour mettre leur force à son service. Vamakshepa rit de plus belle et, l'arrosant toujours plus, lui demanda :
- Vous priez ou bien, même ici, vous achetez des chaussures ?
L'homme resta bouche bée : même si son corps se baignait et ses lèvres récitaient des prières, il était tout à fait vrai qu'il ne pouvait s'empêcher de penser aux chaussures qu'il irait acheter à Calcutta sur le chemin du retour. Qui donc était cet arroseur ?
Les gardes s'avancèrent vers Vamakshepa.
- Arrêtez, leur dit l'homme, laissez-le faire car il a raison.
Il s'approcha de Vamakshepa avec humilité, s'inclina respectueusement :
- Qui que vous soyez, bénissez-moi afin que je parvienne à contrôler mes pensées et qu'en priant je ne pense qu'à Durgâ.
Vamakshepa le bénit.
- Ne soyez jamais hypocrite, dit-il. Vous ne tromperez pas Dieu, vous ne pouvez tromper que vous-même. Si les chaussures reviennent dans vos pensées, arrêtez d'imiter la prière, prenez le temps de les ranger à une autre place pour plus tard. Demandez l'aide de Durgâ, alors seulement reprenez vos prières.
- Comment demander de l'aide de Durgâ alors que je suis tout empêtré dans mes pensées ? demanda l'autre.
- Redevenez un petit enfant. Lorsqu'un enfant s'est sali, il ne sait pas se laver lui-même, il appelle "maman, maman !" simplement. Sa mère accourt et fait le nécessaire. Appelez Durgâ en toute simplicité : Mâ, Mâ ! elle accourra et vous purifiera !
L'homme reprit l'ensemble de ses ablutions, laissant ses chaussures à Calcutta sous bonne garde de Durgâ, pour habiter enfin son corps et ses paroles.