Une vielle vivait seule au pied d'un rocher et passait tous ses jours à prier dévotement devant la statue de Bouddha qu'elle ornait de fleurs, dans un coin de sa chambre.
Voilà qu'une année de famine, comme elle n'avait plus la moindre raclure à se mettre sous son unique dent, elle eut une vision.
Sur un nuage, un Bouddha l'approchait. Il portait un vase qu'il posa près d'elle et lui dit :
- Ta piété est sans faille et je viens t'aider. Voici trois grains de riz. Plante-les devant le rocher. Tu auras chaque jour du riz, suffisamment pour tes trois repas. Va le prendre chaque jour, matin, midi et soir. Tu trouveras juste ce qu'il te faut.
- Bouddha, grand merci pour l'insecte que je suis dans ce monde, répond alors la vielle.
Elle s'en va planter ses trois grains de riz, et le lendemain va chercher et trouve la poignée qu'il lui faut, et ainsi à midi et ainsi le soir, et ainsi chaque jour et ainsi toute l'année. Contente, elle prépare le riz et le mange, sans soucis.
Puis elle devient fainéante, elle oublie ses prières. Elle imagine ramasser le plus de riz possible, le vendre et vivre richement. Elle commence un jour, aussitôt récoltée sa poignée nécessaire, par y retourner pour en chercher une autre, et elle la trouve, et ainsi à chaque repas.
Elle double sa ration, elle la triple, y retourne encore, accumule. Elle en remplit des sacs, sa chambre.
Une année vient où la sécheresse replonge le village dans la désolation. Les villageois la savent riche et viennent lui demander de leur prêter un peu de riz. La vieille, hargneuse, les renvoie :
- Est-ce que vous m'avez donné un seul grain de riz quand je mourais de faim ? Je n'ai pas de riz pour vous. Je n'aurai jamais de riz pour vous.
- Grand-mère, nous avons eu tort autrefois, pardonne-nous. Nous nous corrigerons. Ma femme vient d'accoucher. Il n'y a rien à manger dans la maison. Aie pitié.
- Rien. Je ne vous prêterai rien, je ne vous donnerai rien.
Elle ne changea pas d'avis et chacun rentra chez soi les mains vides et l'estomac tordu, la haine au cœur.
Très vite, le riz ne poussa plus devant son rocher. Elle mourut solitaire. On l'enterra quelque part, vite fait. On appela ce rocher, qui resta un endroit sec, le roc du Riz. Les villageois l'évitèrent longtemps, le cœur malade de colère et de rancœur.
Il fallut qu'un beau jour un enfant ait l'idée de jouer à s'y faire un jardin pour que repoussent des fleurs et des herbes à la place du riz du roc du Riz, qu'on baptisa alors le roc des Simples.