La femme du brahmane venait de terminer ses courses au village.
Elle s'arrêta à la petite échoppe près du grand arbre, s’acheta un bol de soupe, s’installa à une table, y posa son bol et s’aperçut qu’elle avait oublié de prendre une cuillère.
La femme repartit en direction du marchand de soupe. Revenant à sa place, elle trouva un homme, à l'évidence, un hors caste, installé devant le bol, trempant sa cuillère dans la soupe.
- Quel sans-gêne ! pense-t'elle. Toutefois, il n’a pas l’air méchant, ne le brusquons pas.
- Vous permettez ? lui dit-elle en tirant la soupe de son côté. Son interlocuteur répondit par un large sourire. Elle commença à manger.
L’homme retira un peu le bol vers lui et le laissa au milieu de la table. A son tour, il plongea sa cuillère et mangea, mais avec tant d’amabilité dans le geste et le regard qu’elle le laissa faire, désarmée. Ils mangèrent ainsi en silence à tour de rôle. Décontenancée, son indignation fit bientôt place à la surprise ; elle se sent même un peu complice.
La soupe terminée, l’homme se leva, lui fit signe de ne pas bouger, et revint avec une abondante portion de riz qu’il posa au milieu de la table et l’invita à se servir. Elle accepta de bonne grâce et ils partagèrent le bol de riz.
Le repas terminé, l'homme se leva pour prendre congé et, avec un ample salut de la tête, il prononça un seul mot :
- Merci.
Après le départ de son compagnon de repas, la femme du brahmane resta un long moment pensive. Songeant enfin à s’en aller, elle chercha les sacs qu'elle avait déposé au pied de la table et n'en trouva aucun. L'homme n’était donc qu’un vulgaire voleur ?
Alors qu'elle s’apprêtait à demander qu’on le poursuive, ses yeux tombèrent sur un bol de soupe, intact et froid, posé sur une table voisine, au pied duquel se trouvait ses achats.
Il manquait une cuillère sur la table.