Chaque jour, à la tombée du jour, Rajah prenait un long et rafraîchissant bain juste avant que son cornac ne lui serve son dîner. Après le repas, il marchait et admirait le coucher du soleil. Quand les étoiles scintillantes prenaient leur place dans le ciel velouté, il se couchait.
Cependant, un jour, à la tombée de la nuit, venait-il de dîner, qu'il aperçoit un petit chien blanc l’observant par la grille de la cour.
Le chien est très maigre et semble affamé. Il s'adressa à l'éléphant d'une voix douce :
- Monsieur l’éléphant, excusez-moi de vous déranger, permettez-vous que je mange vos restes ? J’ai tellement faim.
- Bien sûr, répondit gentiment Rajah.
Le petit chien se glissa alors sous la porte et se précipita vers la gamelle de l’éléphant pour manger les restes ; il les avala en un clin d’œil, puis remercia l’éléphant et s’enfonça dans la nuit en gambadant.
La même chose se produisit le lendemain, le surlendemain, jusqu’à ce qu’un soir, voyant arriver le chien, Rajah lui dise :
- Mon ami, voudrais-tu venir partager chaque soir mon dîner ? Je vis seul, et ta compagnie me ferait grand plaisir.
Ne se tenant plus de joie, le petit chien accepta avec enthousiasme cette aimable proposition. Dorénavant, on pouvait voir un gigantesque éléphant assis auprès d’un petit chien blanc avec lequel il dînait. Quel étrange spectacle !
Cependant, le cornac estimait que le petit chien blanc n’était pas un compagnon convenable pour un éléphant royal et, tous les soirs, il faisait de son mieux pour le chasser. Mais, à la grande satisfaction de l’éléphant, son petit compagnon persistait à revenir. Comme le cornac était paresseux, il ne tarda pas à renoncer à l’éloigner et lui permit de rester.
Rajah et Flocon de Neige (ainsi que l’éléphant l’avait baptisé) ne tardèrent pas à devenir inséparables. Quand l’éléphant allait prendre son bain le soir, le chien l’accompagnait et ils jouaient ensemble dans l’eau. Puis ils dînaient en parlant inlassablement, comme font les amis. Ils riaient aussi beaucoup. Quand venait l’heure du coucher, Flocon de Neige se pelotonnait à côté de Rajah. Une grande amitié était née.
Un jour, un fermier qui s’en revenait des champs vit les deux animaux jouer ensemble ; il aborda le cornac et lui dit :
- Ce petit chien a l’air très intelligent, j’aimerais beaucoup l’acheter. Combien en voulez-vous ?
Voyant là l’occasion rêvée de se débarrasser enfin du petit chien tout en arrondissant sa fin de mois, le cornac fit affaire avec le fermier, qui emmena aussitôt Flocon de Neige.
Le départ de son ami plongea Rajah dans une grande solitude et une grande tristesse. Il perdit peu à peu l’appétit ; il n’avait pas envie de manger seul. En fait, il n’avait pas envie de grand-chose. Il se contentait de rester là, à regarder par la clôture la direction dans laquelle le petit chien était parti. Quand arrivaient le soir et l’heure du bain, Rajah refusait d’aller dans l’eau et ne remarquait même pas le coucher de soleil et les étoiles qui brillaient dans le ciel nocturne dégagé.
Après une semaine de cet étrange comportement, le cornac commença à s’inquiéter vraiment pour lui. Il en parla donc au roi, qui envoya son propre médecin examiner Rajah. Le médecin ausculta soigneusement l’éléphant.
- Eh bien, je ne lui trouve absolument rien, dit-il finalement. Cet éléphant n’a pas l’air malade, il semble juste très triste.
- Oui, en effet, répondit le cornac.
- Humm… En général, poursuivit le médecin avec sagesse, quand les personnes et les animaux sont tristes, il y a toujours une bonne raison. Est-il arrivé quelque chose ces derniers temps ? Y a-t-il eu des changements dans sa vie ?
- Pas vraiment. Quoique, il avait l’habitude de jouer chaque soir avec un petit chien tout maigre qui a été acheté récemment par un fermier du coin.
- Quand cela est-il arrivé ? s’enquit le médecin.
- Oh ! cela doit faire presque une semaine, maintenant, répondit le cornac d’un air penaud.
- Et quand a-t-il cessé de manger et de prendre son bain ? demanda le médecin.
- À cette époque, je présume, répondit le cornac, visiblement gêné de ne pas avoir fait la relation.
- Eh bien, nous y sommes. Il doit être triste parce que son ami lui manque.
- Oh, si seulement je n’avais pas été tellement pressé de vendre le petit chien ! Je trouvais qu’ils formaient un couple si bizarre, tous les deux. Je vais essayer de le retrouver, mais pour être honnête, j’ignore où habite le fermier, dit le cornac.
Quand le médecin rapporta cette nouvelle au palais, le roi fit savoir dans tout son royaume qu’une récompense serait offerte à qui ramènerait le chien. Apprenant cela, le fermier se mit immédiatement en route avec Flocon de Neige pour aller réclamer sa récompense.
Dès qu’ils franchirent les portes du palais, Flocon de Neige aperçut son ami Rajah et, aboyant de joie, il courut vers lui aussi vite que ses petites pattes le lui permettaient. Revoir son petit compagnon rendit l’éléphant fou de joie. Il le souleva à l’aide de sa longue trompe, le déposa au sommet de sa tête et se mit en route pour aller prendre son bain.
Ce soir-là, les deux amis partagèrent de nouveau leur dîner et Rajah recommença à être heureux. Le lendemain, le cornac fit fabriquer une gamelle spécialement pour Flocon de Neige afin de lui signifier qu’il était invité à rester pour toujours.
Au cours de la procession suivante, les gens s’émerveillèrent à la vue du petit chien blanc assis sur la tête de l’éléphant qui menait le cortège royal.