Le départ venait d'être donné. Les étalons galopaient dans la poussière.
Comme chaque vendredi après-midi, le roi était là pour voir courir ses propres chevaux. Il pris place dans la tribune royale et les accompagnait de son regard perçant. Il demeurait impassible, tandis qu'en contrebas, un homme, debout parmi la foule, s'agitait en criant pour encourager un des étalons.
Un vieil homme qui se trouvait près de lui l'interrogea :
- Belle monture ! dit-il. Vous en êtes le propriétaire ?
- Non, répondit l'autre. Seule la bride de cuir est à moi.
Quelques instants avant la remise des trophées, le roi voulut savoir si le cheval gagnant appartenait bien à l'homme qui s'agitait durant la course. Il apprit que celui-ci n'en était pas le propriétaire et que seule la bride de cuir était à lui. Devant ce qu'il considéra comme une idiotie, le souverain haussa les épaules et préféra garder le silence.
En regagnant son palais, il passa aux abords d'un village en flamme. Restant impuissant face au sinistre spectacle, il aperçut un modeste moineau qui luttait contre le feu en faisant d'incessants va-et-vient entre une citerne d'eau et l'incendie. Intrigué, il lui demanda :
- Que fais-tu, moineau ?
- Je remplis mon bec d'eau et la déverse dans le feu pour l'éteindre.
- Comment peux-tu être assez fou pour croire que quelques gouttes d'eau pourront venir à bout de telles flammes ?
- Je me contente de faire ma part, ô Majesté. Que serait l'océan immense sans la goutte d'eau ? Que serait le bonheur sans les petites joies ? Que serait le tout sans l'infime ?
L'oiseau retourna à la citerne et poursuivit ses va-et-vient. Alors, le monarque se joignit aux villageois, prit un seau, le remplit d'eau et participa à la lutte contre le feu. Les hommes de sa suite et ceux de sa garde en firent autant. Des caravaniers qui passaient par là virent les aider.
Au bout de quelques heures, l'incendie fut vaincu. Tout le monde sauta de joie et applaudit. Dès le lendemain, la reconstruction du village fut entreprise. Les briques de terre crue passèrent de main en main et bientôt de nouvelles maisons sortirent de terre.
Cette expérience fit évoluer le roi. Des années plus tard, sur son lit de mort, il dit à son fils avant d'expirer :
- Le cheval n'aurait pas gagné sans la bride de cuir. L'incendie n'aurait pas été vaincu sans l'aide du moineau.
Le prince le crut fou.