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Catherine

Aveuglés

Un jour que le Bouddha marchait dans les rues de la ville accompagné de ses disciples, ces derniers discouraient sur la sangha. Le débat s'animait et chacun essayait d'obtenir du Bouddha qu'il défende son opinion. Cependant, le bienheureux restait silencieux.

Alors qu'ils arrivaient sur une place, le Bouddha déclara :

- Celui qui n'observe que lui-même est aveugle au monde et n'en apprend rien.

Les disciples le regardèrent, intrigués, et le Bouddha continua :

- Celui qui observe seulement la partie qui est à sa portée n'en comprend pas le tout.

Arrêtés, les disciples désormais muets, attentifs aux paroles du sage qui dit encore :

- Celui qui n'écoute que lui-même n'acquiert aucune nouvelle connaissance puisqu'il ne fait que répéter ce qu'il sait déjà.

D'un mouvement de la main, le Bouddha montra un groupe d'aveugles qui demandaient l'aumône sur la place. Quelques jeunes garçons passèrent près d'eux, annonçant l'arrivée imminente d'un éléphant venu d'Orient.

A cette époque, l'éléphant était un animal inconnu. On relatait à son sujet mille merveilles et chacun imaginait à sa façon les particularités les plus étonnantes de cet être fabuleux. Les aveugles se réjouirent à l'idée de connaître une telle bête et, à leur demande, l'un des garçons courut jusqu'au guide de l'animal, qui venait d'arriver sur la place.

Le guide, un homme au cœur bon, fut sensible à leur souhait et conduisit l'éléphant près des aveugles, leur permettant de le tâter jusqu'à ce qu'ils soient satisfaits. Guidés par la puissante odeur qui se dégageait des flancs du pachyderme, les aveugles s'approchèrent en silence de ce dernier et, à défaut de le contempler, le palpèrent, faisant confiance au témoignage de leurs mains.

Après l'avoir touché, les aveugles commencèrent une vive discussion. Le premier aveugle, qui n'avait touché que l'oreille de la gigantesque bête, commença ainsi :

- Même le plus aveugle des hommes peut dire à quoi ressemble l’éléphant, à un éventail ! Son corps est mince et plat, un peu rugueux, et il s'agite dans le vent lorsqu'on le touche.

Le second, qui s’approchant de l’éléphant et perdant pied, était allé buter contre son ventre, s’exclama aussitôt :

- Mais ce magnifique éléphant ressemble beaucoup à un mur !

Le troisième, qui avait touché la trompe qui se tortillait, démentit son camarade :

- Mais non, c'est un long serpent qui se dresse tout droit et a beaucoup de force, comme un boa.

Le quatrième aveugle, qui avait palpé de sa main fébrile un genou, dit à son tour :

- Vous vous trompez tous car cet animal fabuleux ressemble à un arbre au tronc puissant et à l'écorce rude.

Le cinquième aveugle, qui avait touché les flancs larges et robustes, répondit :

- Vous êtes tous des fous, ce qu'on appelle un éléphant est en réalité une montagne !

Le sixième, qui avait palpait une défense, s’écria :

- Soyez un peu sérieux. Cet objet si lisse et si pointu, il ne fait aucun doute que cet éléphant extraordinaire ressemble à une lance !

Enfin, le septième aveugle, qui avait touché la queue qui se balançait, s'exclama :

- Vous êtes tous aveugles ! L'éléphant n'est ni un éventail, ni un mur, ni un boa, ni un arbre, ni une montagne, ni une lance. C'est une simple tresse de corde.

Tout le groupe recommença alors à se disputer, chacun insistant sur la justesse de sa perception et la certitude de son affirmation. Ils finirent par en venir aux mains, car aucun d'entre eux ne voulait démordre de son témoignage : lui seul avait eu l'expérience directe et authentique de la vérité. Les autres étaient dans l'erreur.

Le Bouddha se tournant vers ses disciples, déclara :

- Vous voyez, celui qui ne comprend qu'une partie n'a pas de notion du tout.

Et, disant cela, il s'approcha des aveugles :

- Mes enfants, vous avez tous raison à propos du peu que vous connaissez. Cependant, vous devez vous écouter les uns les autres pour atteindre la vérité. Si chacun peut transmettre aux autres l'impression qu'il a eue, et si vous êtes capables d'assembler les parties, vous arriverez à un tout acceptable.

Les aveugles commencèrent alors à exposer leurs impressions, l'un après l'autre, et, en peu de temps, ils eurent une idée assez proche de ce qu'était un éléphant.

Se tournant de nouveau vers ses disciples, le Bouddha conclut :

- Cette scène nous enseigne quelque chose : comme les aveugles, chacun a sa propre vision limitée du monde et des choses et pense que ce qu’il perçoit représente la vérité. Cependant, si nous confondons une partie de la vérité avec le tout, nous sommes tous aveugles. Celui qui veut seulement renforcer et imposer ce qu'il sait n'apprendra rien de nouveau, puisqu'il continuera dans l'ignorance de ce qu'il ne sait pas.

Il est nécessaire d'écouter l'opinion des autres et de chercher l'harmonie de la connaissance, c'est seulement ainsi que l'on s'approche de la vérité.

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