L'amour. Un sentiment, une émotion, un instinct, un acte, mais aussi une débauche de phéromones, une orgie d'amphétamines, une chimie complexe, délicieuse et fatale, mais, réversible... et c'est là le problème.
Ocytocine et sérotonine ont beau prendre le relais, la descente est souvent douloureuse et mal vécue. C'est pourtant le même scénario depuis la nuit des temps, mais nous voilà toujours aussi surpris, dégrisés, amers. Notre cerveau n'oubliera jamais les sensations extrêmes ressenties dans la phase passionnelle de l'amour, et nous sommes parfois prêts à tout pour les renouveler, les prolonger, quitte à tout gâcher et à multiplier les partenaires.
Malheureusement, que l'on soit pris dans cette dynamique addictive ou que l'on s’accommode d'une sexualité routinière, le bonheur n'est pas au rendez-vous. Alors, le progrès est-il impossible en amour ? Entre une liberté sexuelle qui nie l'autre, et la tyrannie de l'orgasme réciproque et synchrone, existe-t-il une troisième voie ? Les effets d'une sexualité vide de sens lancée à corps malmené dans une escalade du hard est-elle la cause du désarroi et de l'éclatement des couples ? Le salut passe-t-il par l'appropriation d'une sexualité sacralisée qui manifeste sa part divine ? Se peut-il qu'une nouvelle révolution sexuelle soit en perspective ?
Dans une société où la consommation est religion, où la frustration est hérétique, nous entrons dans un processus d'identification où l'autre est un objet à consommer sexuellement pour obtenir notre dose neurochimique d'excitation et de plaisir. La levée de deux mille ans d'oppression judéo-chrétienne a bien permis une certaine liberté sexuelle, mais celle-ci a rapidement été rattrapée par une autre forme d'oppresseur : la mâle peur, ou la peur de la féminité qui s'exprime par la pornographie, les tournantes, une sexualité de l'ignorance et du pouvoir, condamnée à la surenchère. Mais alors, le progrès est-il impossible en amour ?
La neurochimie
De la première rencontre à l'engagement dans la vie commune, l'amour subit des transformations programmées par une neurochimie complexe. Dans cette aventure, l'orgasme joue un rôle non négligeable. Qu'il soit perçu comme un dû ou comme un devoir, comme un délice ou un soulagement, comme un état de conscience modifié ou un éternuement (selon les termes de Pascal), l'orgasme est considéré comme l'objectif suprême de l'acte sexuel récréatif. Le psychiatre et psychanalyste autrichien Wilhelm Reich a été le premier scientifique à décrire la nature et l'intérêt de l'orgasme en tant que décharge d'énergie en excès s'accompagnant d'une libération d'énergie affective.
À côté des pics de plaisir qui le caractérisent, l'orgasme a malheureusement tendance à entraîner de puissants effets secondaires négatifs que l'on commence tout juste à comprendre. Ceux-ci sont dus à l'activité hormonale, présente chez tous les mammifères, afin d'assurer certains objectifs évolutionnaires, notamment la mixité des patrimoines génétiques et l'élevage de la progéniture en toute sécurité. Ces objectifs dépendent d'une cuisine biochimique complexe dont les principaux ingrédients sont la dopamine (l'hormone du plaisir), la prolactine (l'hormone de la satiété) et l’ocytocine (l'hormone de l'attachement). Tout ceci affecte grandement notre humeur, notre désir d'intimité, la perception de notre partenaire ainsi que notre vulnérabilité aux addictions. Ne négligeons pas non plus le rôle de l'hormone stimulante phényléthylamine (PEA), également présente dans le cacao et le chocolat, et qui renforce l'énergie, le moral et l'attention. Quand on est amoureux, on produit de la PEA à haute dose. Inversement, une carence (fréquente chez les maniaco-dépressifs), entraîne des sentiments de tristesse.
Dans l'état amoureux, nous tissons des liens d'attachement en augmentant nos taux de PEA, d’ocytocine et de dopamine. Lorsque nous sommes sexuellement excités par un contact rapproché, notre taux de dopamine augmente encore plus et au moment de l'orgasme, une décharge de dopamine se produit dans le cerveau. Les scientifiques comparent cet effet sur le cerveau à celui de l'héroïne. La dopamine joue un rôle dans toutes les accoutumances, de même que chez les gens qui ont oublié ce qu'était le sexe.
Après l'orgasme
Le taux de dopamine chute brusquement, entraînant l'état de manque habituel. Cette réaction a tendance à être immédiate chez l'homme et différée chez la femme. Le taux d’ocytocine chute également, mais en gardant un contact étroit, le couple peut contribuer à contrebalancer cette baisse et à maintenir le taux de cette hormone de l'amour. Des changements comportementaux dus à ce déséquilibre hormonal ont été observés jusqu'à deux semaines après l'orgasme. Durant ce laps de temps, nous pouvons devenir plus irritables, insatisfaits, anxieux ou déprimés, et au lieu de voir le bon côté de notre partenaire, nous risquons alors de prendre douloureusement conscience de ses défauts. C'est exactement le même processus et le même laps de temps dont la prolactine a besoin pour revenir à son taux normal durant un sevrage de la cocaïne.
Au départ, durant l'état de grâce de notre relation, nous restons fortement liés par des taux élevés d’ocytocine et surmontons rapidement notre blues hormonal en ayant un nouveau rapport sexuel. Dans un premier temps, le sexe incite au sexe. Cela entraîne un effet de montagnes russes, l'état émotionnel de notre relation fluctuant au gré des hausses et des baisses du taux de dopamine. Par la suite, nous risquons d'avoir de moins en moins envie de sexe avec notre partenaire (peut-être parce que nous commençons inconsciemment à l'associer aux baisses du cycle, ou parce que nous en avons assez de servir d'exutoire). Nous pouvons alors essayer de maintenir notre taux de dopamine en devenant dépendant d'un aliment ou d'une drogue ou en nous intéressant à un nouveau partenaire sexuel. Grosso modo, ce type de comportement est le même chez les humains, les primates, les mammifères et les reptiles, parce qu'il émane de la zone primitive du cerveau.
Prenons l'exemple d'une expérience conduite sur des singes sauvages. À peine mis en cage, ils présentaient un taux élevé de cortisol (hormone du stress), mais leur taux de prolactine s'est mis à augmenter peu à peu à mesure qu'ils se résignaient à leur sort. Les taux de prolactine atteignaient leur maximum au bout de sept mois. Avec des taux de prolactine élevés, ils ne s'accouplaient pas. Cela rappelle ces relations humaines de longue durée sans liens affectifs étroits.
L'effet Coolidge
Dans des expériences avec des rats, il a été observé que, après une copulation vigoureuse avec une nouvelle partenaire, les rats mâles en venaient très vite à l'ignorer complètement. Mais lorsqu'une nouvelle femelle arrivait, ils étaient immédiatement revitalisés, assez en tout cas pour redevenir sexuellement actifs. Ce phénomène pouvait se répéter maintes et maintes fois jusqu'à épuisement total du rat. On a appelé cela l'effet Coolidge, d'après le président américain Calvin Coolidge. On raconte qu'en visite dans une ferme, sa femme a vu un coq qui pouvait copuler avec ses poules toute la journée, jour après jour. Cette idée lui a plu et elle a demandé au fermier de le faire savoir au président. Après en avoir eu connaissance, le président Coolidge a réfléchi un moment et a demandé :
- Fait-il cela avec la même poule ?
- Non, monsieur, a répondu le fermier.
- Veuillez le faire savoir à Mme Coolidge, a dit le président.
L'effet Coolidge a été observé non seulement chez tous les mâles testés mais également chez les femelles. Les rongeurs femelles, par exemple, flirtent davantage et se présentent sous un meilleur jour lorsqu'elles sont observées par de nouveaux mâles qu'en présence de mâles avec lesquels elles ont déjà copulé. Une autre expérience indique que cela est peut-être dû à une bouffée de dopamine. Des rats, auxquels on a appris à tirer un levier pour stimuler leur propre centre du plaisir, ont renoncé à s'alimenter et à copuler et ont simplement continué à se stimuler jusqu'à épuisement total.
L'hormone de l'attachement
De toute évidence, le système de la dopamine est conçu pour produire une variété génétique en nous incitant à avoir des relations sexuelles avec autant de partenaires différents que possible. Cependant, il existe une hormone qui contrebalance les effets de montagnes russes émotionnelles de la dopamine : c'est l’ocytocine, l'hormone de l'attachement. L’ocytocine permet de tisser de forts liens d'attachement entre deux personnes. Chez des animaux liés sur le plan affectif, l'accouplement cesse avec l'augmentation de la prolactine après une fécondation réussie et l’ocytocine permet alors aux deux parents de coopérer pour la survie de leur progéniture. Les humains pourraient faire de même : n'avoir des relations sexuelles que pour se reproduire puis s'abstenir de sexe.
Cela conduirait probablement à une relation émotionnellement stable à vie, mais la plupart d'entre nous la trouverions terriblement ennuyeuse.
La solution consacrée consiste à avoir des relations sexuelles tendres sans orgasme, ce qui permet de maintenir le taux d’ocytocine sans déclencher les montagnes russes neurochimiques perturbatrices de l'orgasme. C'est ce qui est pratiqué dans le Tantra indien, par les Taoïstes chinois et apparemment par les premiers chrétiens. Ces dernières années, cette pratique a été remise au goût du jour à travers la méthode Karezza, ou Tantra blanc, et d'autres approches spirituelles de la sexualité. L'engouement pour ces techniques vient du fait qu'elles ont tendance à consolider les relations au lieu de les briser, comme semble le faire le sexe orgasmique fréquent. Mais avant de découvrir ces approches, analysons de quelle manière une sexualité ordinaire agit comme un redoutable tue-l'amour.
Programmés pour se quitter
Après une courte période de grâce, les couples entament fatalement une descente tout à fait naturelle marquée par une baisse du désir. Et s'il suffisait de faire l'amour autrement pour déjouer ce schéma dicté par les lois de l'évolution ? Actuellement, un grand nombre de mariages se soldent par un divorce, souvent après un laps de temps très court. Les couples en union libre sont encore plus fragiles. Bien qu'il s'agisse d'un phénomène assez récent, les raisons sous-jacentes ont toujours existé, mais, pendant des siècles, les mariages dysfonctionnels ont été maintenus par la pression sociale ou religieuse. Les raisons de ces difficultés sont à chercher dans les caractéristiques hormonales de nos relations sexuelles.
En termes évolutionnaires, nous sommes conditionnés pour disséminer nos gènes le plus largement possible et élever notre progéniture dans un environnement sûr. Cela signifie que nous sommes programmés pour rencontrer quelqu'un, tomber amoureux, avoir des rapports sexuels pour concevoir un enfant et au bout de quelque temps, rencontrer quelqu'un d'autre et répéter ce processus. Les femmes sont attirées sexuellement par les hommes beaux, mais choisissent souvent leurs partenaires en fonction de leurs ressources et de leur potentiel parental. Les hommes, quant à eux, tentent de disséminer leurs gènes en étant fortement attirés par n'importe quelle femme (féconde) possédant des traits génétiquement désirables.
Ce schéma évolutionnaire atteint son point culminant après la grossesse, lorsque la femme conserve un taux élevé de prolactine durant l'allaitement et, au lieu de maintenir un tendre lien d’ocytocine avec son partenaire, transfère désormais son affection sur son bébé. Dans une telle situation, le sexe est hormonalement parlant indésirable et tout rapport sexuel orgasmique entraîne une plus grande instabilité hormonale et émotionnelle.