Premier avertissement de 1992…
Ce document a été signé par 1 575 des scientifiques les plus éminents du monde (dont 99 des 196 lauréats du prix Nobel) et a été envoyé aux dirigeants gouvernementaux du monde entier. Le document demande aux gens de prendre des mesures immédiates pour mettre fin à la dégradation croissante de l’environnement qui menace les systèmes mondiaux de soutien à la vie sur cette planète.
L’appel a été coordonné par le Dr Henry Kendall, lauréat du prix Nobel (1990, Physique) et ancien président de l’Union of Concerned Scientists. Les êtres humains et le monde de la nature se dirigent vers un point de non-retour. L’activité humaine inflige de graves dommages, souvent irréversibles, à l’environnement et aux ressources précieuses. À moins d’intervention, bon nombre de nos pratiques actuelles menacent gravement l’avenir de la société humaine ainsi que celui du monde animal et végétal, et elles risquent de transformer le monde vivant à un point tel que celui-ci sera incapable de perpétrer la vie de la manière que nous connaissons. Il est donc urgent de procéder à des changements fondamentaux si nous voulons éviter le point de non-retour vers lequel nous nous dirigeons actuellement.
L’environnement souffre gravement de stress :
L’atmosphère : l’appauvrissement de l’ozone stratosphérique nous menace en raison de l’accroissement du rayonnement ultraviolet à la surface de la Terre, qui peut à son tour endommager ou détruire de nombreuses formes de vie. La pollution atmosphérique près du sol ainsi que les précipitations acides causent déjà bien des dommages aux êtres humains, aux forêts et aux cultures.
Ressources en eau : l’exploitation excessive des réserves d’eaux souterraines non renouvelables met en danger la production alimentaire et d’autres systèmes essentiels à la vie humaine. La forte consommation d’eau de surface sur la planète s’est traduite par de graves pénuries dans quelque 80 pays rassemblant 40 % de la population mondiale. La pollution des rivières, des lacs et des eaux souterraines limite d’autant plus les réserves.
Océans : l’action destructrice sur les océans est grave, surtout dans les régions côtières qui produisent plus de la moitié du poisson consommé dans le monde. La quantité totale d’animaux marins pêchés atteint ou dépasse ce que l’on estime être le rendement équilibré (le maximum de prises). Certains secteurs de la pêche montrent déjà des signes d’effondrement. Les rivières transportant de lourdes quantités de sol érodé dans les océans charrient également des déchets industriels, municipaux, agricoles et animaux, dont certains sont toxiques.
Sol : la perte de productivité du sol, qui entraîne l’abandon considérable des terres, est une conséquence fort répandue des pratiques actuelles d’agriculture et d’élevage. Depuis 1945, onze pour cent de la surface végétalisée de la Terre s’est détériorée, soit une zone plus vaste que l’Inde et la Chine rassemblées, et la production alimentaire par habitant a diminué dans bien des régions du monde.
Forêts : on assiste à la destruction rapide des forêts tropicales humides, ainsi que des forêts tropicales et tempérées de terres arides. Au rythme actuel, certains types de forêt importants auront disparu d’ici quelques années et la plupart des forêts tropicales humides seront décimées avant la fin du siècle prochain. Un grand nombre d’espèces végétales et animales disparaîtront avec elles.
Espèces vivantes : La disparition irréversible d’espèces, qui d’ici 2100 atteindra peut-être le tiers des espèces vivantes actuelles, est particulièrement grave. Nous perdons ainsi les bienfaits possibles que ces espèces recèlent, notamment sur le plan de la médecine, et la contribution précieuse de la biodiversité aux systèmes biologiques de la planète et à la beauté étonnante de la Terre elle-même.
La plupart de ces dommages prendront des siècles et des siècles à être réparés sans compter que d’autres sont irréversibles. D’autres situations semblent ajouter à la menace. La présence accrue de gaz dans l’atmosphère en raison des activités humaines, y compris le gaz carbonique provenant de l’exploitation des combustibles fossiles et du déboisement, pourrait fort bien modifier le climat à l’échelle de la planète. Les prédictions concernant le réchauffement du globe sont encore incertaines, les conséquences envisagées variant de tolérables à extrêmement graves, mais les risques sont énormes.
L’altération massive des diverses formes de vie interdépendantes qui existent sur Terre, en plus des dommages causés à l’environnement par le déboisement, la disparition des espèces et les changements climatiques, pourrait avoir toute une série de répercussions néfastes, notamment l’effondrement imprévisible de systèmes biologiques essentiels dont nous ne comprenons pas entièrement les interactions ni la dynamique. L’incertitude quant à l’ampleur de ces effets ne justifie aucunement que nous adoptions une attitude suffisante ou que nous refusions plus longtemps de faire face à la réalité de la situation.
La population de la Terre a ses limites. De même, sa capacité à absorbé les déchets et les effluents nocifs est limitée. Sa capacité à produire des aliments et de l’énergie est également limitée, tout comme sa capacité à subvenir aux besoins d’une population grandissante. Et nous nous approchons de plus en plus près des limites de la Terre. Les pratiques économiques actuelles qui endommagent l’environnement, à la fois dans les pays développés et dans les pays en développement, ne peuvent continuer sans risquer d’endommager à jamais les systèmes qui maintiennent la vie sur Terre.
Les pressions exercées sur le monde naturel par la croissance illimitée de la population peuvent anéantir tout effort en vue d’un avenir viable. Si nous voulons stopper la destruction de notre environnement, nous devons accepter d’imposer des limites à cette croissance. Selon les estimations de la Banque mondiale, la population mondiale ne se stabilisera pas avant d’avoir atteint les 12,4 milliards tandis que les Nations Unies prévoient que la population totale pourrait un jour atteindre les 14 milliards, soit presque le triple du chiffre actuel de 5,4 milliards.
Toutefois, aujourd’hui encore, une personne sur cinq vit dans la pauvreté absolue et ne mange pas à sa faim, et une personne sur dix souffre de grave malnutrition. Il ne nous reste pas plus de dix ans ou de quelques dizaines d’années pour remédier aux dangers auxquels nous sommes confrontés aujourd’hui et pour éviter que les perspectives ne soient considérablement limitées pour l’ensemble de l’humanité.
Avertissement
Nous soussignés, membres réputés de la communauté scientifique mondiale, avertissons par la présente le monde entier de ce qui se dessine à l’horizon. Pour éviter la misère humaine à grande échelle et pour empêcher la mutilation irréversible de notre planète, il nous faut radicalement changer la gestion de la Terre et de la vie sur Terre.
Ce que nous devons faire
Nous devons nous attaquer simultanément à cinq domaines étroitement liés :
1. Nous devons freiner les activités nocives pour restaurer et protéger l’intégrité des systèmes qui sont à la base de la vie sur Terre. Nous devons ainsi nous détourner des combustibles fossiles et opter pour des sources d’énergie renouvelables et plus saines afin de limiter les émissions de gaz à effet de serre ainsi que la pollution de l’air et de l’eau. Il nous faut accorder la priorité à la promotion de sources d’énergie adaptées aux besoins des pays en développement, c’est-à-dire à petite échelle et relativement faciles à mettre en application. Nous devons mettre fin au déboisement, à l’endommagement et à la perte des terres agricoles, et à la disparition d’espèces végétales et animales vivant sur la terre et dans la mer.
2. Nous devons gérer plus efficacement les ressources qui sont essentielles au bien-être des populations. Nous devons accorder une grande priorité à l’utilisation efficace de l’énergie, de l’eau et d’autres matières, notamment en augmentant les activités de conservation et de recyclage.
3. Nous devons stabiliser l’accroissement de la population. Cela ne sera possible que si toutes les nations reconnaissent qu’il est nécessaire d’améliorer les conditions économiques et sociales, et de recourir à la planification familiale efficace et volontaire.
4. Nous devons réduire la pauvreté et l’éliminer avec le temps.
5. Nous devons veiller à l’égalité entre les sexes et permettre aux femmes de prendre leurs propres décisions en matière de reproduction.
Aujourd’hui, les pays développés sont les plus grands pollueurs du monde. Il leur faut réduire considérablement leur consommation à outrance si l’on veut un jour alléger le fardeau qui pèse sur les ressources et l’environnement de la planète. Les pays développés ont l’obligation de fournir aide et soutien aux pays en développement, car eux seuls disposent des ressources financières et des compétences techniques nécessaires pour accomplir ces tâches.
Passer à l’action signifie moins faire preuve d’altruisme que défendre intelligemment ses propres intérêts : que nous appartenions au monde industrialisé ou non, nous n’avons à nous tous qu’un seul bateau de sauvetage à notre disposition. Aucun pays n’est à l’abri des répercussions des dommages causés aux systèmes biologiques de la planète. Aucun pays n’est à l’abri des antagonismes qui se créent au sujet de ressources limitées. De surcroît, les instabilités d’ordre environnemental et économique entraîneront des migrations massives qui auront des répercussions incalculables tant pour les pays développés que pour les pays en voie de développement.
Le succès de cette entreprise mondiale exigera une grande réduction de la violence et de la guerre. Les ressources actuellement affectées à la préparation et à la conduite de la guerre -soit plus d’un billion de dollars chaque année- seront indispensables pour accomplir les tâches qui nous attendent et devraient être réservées à ces nouvelles fins.
Pour assumer notre responsabilité qui consiste à prendre soin de nous-mêmes et de la Terre, il nous faut une nouvelle éthique et une nouvelle attitude. Il nous faut reconnaître la capacité limitée de la Terre de subvenir à nos besoins. Il nous faut reconnaître sa fragilité. Il nous faut désormais empêcher qu’elle soit ravagée. Cette éthique devrait être le fer de lance d’un grand mouvement et convaincre les dirigeants, les gouvernements et les individus récalcitrants de procéder aux changements qui s’imposent.
Les scientifiques qui lancent cet avertissement espèrent que ce message parviendra à tous les habitants de la planète et qu’il aura des effets sur chacun et chacune d’entre nous. En effet, l’aide du plus grand nombre est indispensable.
Nous demandons l’aide de la communauté mondiale des scientifiques, de ceux et celles qui se consacrent à la nature, à la société, à l’économie et à la politique.
Nous demandons l’aide de tous les dirigeants industriels et commerciaux du monde.
Nous demandons l’aide de tous les dirigeants religieux du monde.
Nous demandons l’aide de tous les peuples du monde.
Nous demandons à tout le monde de se joindre à nous.
Plus de 1 500 membres d’académies des sciences régionales, nationales et internationales ont signé l’Avertissement. Soixante-neuf pays de tous les coins du monde sont représentés, dont les douze pays les plus peuplés et les dix-neuf plus grandes puissances économiques. La liste complète inclut également une majorité de lauréats du Prix Nobel dans le domaine scientifique.