Un jeune érudit ayant fait ses classes de sannyasin se promenait près d’une rivière en pleine forêt.
Plongé dans ses réflexions intellectuelles et philosophiques, il marchait lentement, se délectant de ce savoir si profond sur l’absolu. Puis vînt le moment où, tout en continuant sa marche, il entendit une voix grêle et fragile qui psalmodiait apparemment un mantra.
Plus il avançait, plus se disait-il que ce mantra était très mal répété, avec de fausses intonations sanskrites, et que cet ignorant aux règles mériterait bien qu’on le corrige. L’ignorant en question devait être dans cette cahute en paille que l’on apercevait au loin, de l’autre côté de la rivière et d’où provenait la psalmodie.
Une longue barque se trouvait là pour passer d’une rive à l’autre. L'empruntant, notre jeune érudit tout fier de sa robe orange s’en allait corriger par une leçon grammaticale son nouvel élève.
Arrivant près de la cabane, il se pencha, entra et découvrit là un vieillard très âgé, absorbé dans sa récitation et vivant probablement là une vie d’ascèse et de dénuement :
- Hé là ! vieillard, je t’entends depuis un moment réciter ce mantra dont tu ne sembles pas vraiment connaître la parfaite répétition. Comment peux-tu donc en libérer toute la puissance et ses pouvoirs. Veux-tu que je te l’enseigne ?
- Oh, jeune homme, dit le vieillard, s’inclinant avec dévotion devant son hôte improvisé. Sois le bienvenu, et sois assuré de ma reconnaissance. Je suis seul depuis si longtemps et peut-être ai-je oublié, il est vrai, comment se prononce ce mantra. Ma mémoire me fait un peu défaut, mais ma foi est immense. Fais-moi le grand honneur de m’enseigner sa parfaite répétition, je t’en serai infiniment reconnaissant, dit-il avec humilité.
Une heure après, le jeune sannyasin retraversa la rivière avec sa barque, fier de sa bonne action. Alors qu’il était déjà à mi-chemin des deux rives, il entendit à nouveau la voix hésitante du vieillard qui l’appelait.
Alors qu’il se retournait pour lui répondre, il vit marcher sur l’eau ce même vieillard lui demandant :
- Excuse-moi jeune homme, mais peux-tu me rappeler une dernière fois comment prononcer ce mantra ? Car je semble l’avoir encore oublié.