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Catherine

L’homme sans souci

Ce roi-là s’angoissait pour tout.

Non pas pour les maux du royaume mais plutôt pour ces riens majeurs qui occupent l’âme et le cœur des écorchés vifs richissimes. Quel costume pour l’opéra ? J’ai mal au doigt. Ai-je un cancer ? Aujourd’hui tout va, mais demain ?

Telles étaient les inquiétudes renouvelables à l’infini, qui ,de l’aube au soir, l’obsédaient. Vint le jour où son conseiller lui dit :

- Sire, c'est assez de remonter votre moral des oubliettes à la salle du trône, tous les matins, comme je le fais depuis le début de votre règne. Je connais l’homme qu’il vous faut. Il vit sans le moindre souci avec cinq ou six sous par jour. Allez le voir, observez-le. Peut-être vous apprendra-t-il à ne pas sursauter d’effroi à la moindre mouche qui passe.

- Ah, tu crois ? répondit le roi.

Le soir-même, à la nuit noire, il se travestit en mendiant et s’en fut frapper au volet de cet ami du bonheur. L’homme était en train de dîner. Il lui offrit de son fromage.

- Es-tu content ? lui dit le roi.

- De quoi manger, de quoi dormir, quatre murs, un toit sur la tête, que puis-je demander de mieux ? lui répondit le bienheureux.

- Sans doute as-tu un bon métier ? s'enquit le faux mendiant.

- Je répare les pots cassés. Je gagne cinq, six sous par jour. Cela me suffit amplement.

Trop facile, pensa le roi. Je vais lui donner du souci. Je suis curieux de voir comment il saura s’en débrouiller. De retour à son palais, il convoqua son ministre :

- Ministre, j’interdis que tout pot cassé soit dorénavant recollé. Qu’on achète uniquement du neuf. Il faut stimuler le commerce !

Le lendemain, sur le marché, plus rien pour le raccommodeur. Il s’en alla, le nez au vent. Il rencontra dans un faubourg un pauvre vieux à bout de souffle qui rafistolait sa maison. Il lui donna un coup de main. Au soir, comme il rentrait chez lui :

- Salut, mendiant ! Tu tombes bien, c’est bientôt l’heure de dîner. C’était évidemment le roi dans ses haillons de pégreleux.

- As-tu de quoi faire la soupe ? lui demanda le déguisé.

- Je viens de passer ma journée à réparer une charpente. J’y ai gagné cinq sous tout rond.

Le roi pensa : c'est insupportable ! Il me nargue. Nous verrons bien si cette fois il passera entre les gouttes que je vais lui postillonner. Le lendemain, il convoqua son conseil royal :

- Les travailleurs intermittents sont la plaie de notre pays. Qu’on ramasse les bricoleurs, les déménageurs de greniers, les conteurs, les chanteurs de rue et qu’on les enrôle de force dans mon armée. En outre, il est un jeune homme que l’on ne devra pas payer. Pas un sou ! Je vous dirai qui.

Voilà notre homme à la caserne. On lui donne un casque, une épée, des bottes, un uniforme bleu. Le soir venu, devant sa porte :

- Encore toi, mendiant ? Viens donc, j’ai acheté du vin, des figues, du fromage et des raisins secs.

- Avec quoi ? demanda le roi, les yeux aussi ronds que la bouche.

- C’est un secret. Tu veux savoir ? J’ai brisé mon épée en six et je vends un bout de ferraille, chaque jour, pour cinq ou six sous.

- Et qu’y a-t-il, sacré filou, dans le beau fourreau que voilà ?

- Oh, c’est simple, une épée de bois.

Je le tiens, ricana le roi dans sa barbe de faux pouilleux. Le lendemain, dans son palais, il convoqua son ministre :

- Qu’on amène sous mon balcon un brigand condamné à mort. N’importe lequel, je m’en moque et je veux voir aussi le soldat privé de salaire.

Voici les deux bientôt plantés au milieu de la cour royale.

- Je te donne l’ordre, soldat, de trancher le cou de cet homme ! brailla le roi en désignant du bout du sceptre le malfrat.

- Holà, holà, répondit l’autre, c’est là besogne de bourreau. Je ne suis qu’un fantassin incompétent. Et puis, sire, réfléchissez, ce bougre est peut-être innocent. N’a-t-il pas l’air vraiment stupide pour un assassin chevronné ? Demandons à Dieu son avis. Vous êtes d’accord ?

Et tombant à genoux, bras ouverts, tête en l’air :

- Seigneur, roi des rois, je t’implore. S’il faut que je tue, je tuerai. S’il ne faut pas, fais un miracle. Que l’épée que je vais tirer de ce fourreau de cuir ne soit pas de fer, mais de bois !

Geste grandiose, inoubliable. L’arme au soleil ne reluit pas. Signes de croix interminables parmi les ministres béats. Murmures stupéfaits :

- En bois ! En bois ! C'est du bois !

Le roi rit :

- Viens que je t’embrasse. Je te veux chez moi désormais.

- Moi ? Pour quoi faire, majesté ?

- Presque rien. Te regarder vivre et rire de mes vieilles peurs. Cinq sous par jour.

- Cinq sous ? Parfait !

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