Un père, sentant sa fin prochaine, décida de réunir autour de lui ses fils bien-aimés.
Il les avait élevés seul, leur inculquant à tous, honneur et dignité. Cependant, malgré l'excellence de son éducation, il vit avec consternation les dissensions s'intensifier entre ses cinq enfants. Il espérait, au fil du temps, que l'harmonie régnerait, mais les années passèrent sans apporter la moindre amélioration.
Les espoirs déçus finirent par avoir raison de lui, et un beau matin, il s'alita pour ne plus jamais se relever. Ses fils se pressèrent autour de sa couche, en vue de recueillir ses ultimes recommandations. Dans un souffle, le père déclara :
- Mes enfants, combien je vous aime ! A mon heure dernière, je voudrais donner à chacun d'entre vous, sa juste récompense. J'ai travaillé avec ardeur toute mon existence et c'est avec fierté que je ne vous laisserai pas dans le dénuement. Cependant, le choix a été difficile et ma tâche a été bien ingrate. En effet, je ne voulais spolier aucun d'entre vous et vous rétribuer de la plus honnête façon. Si je vous parais injuste, veuillez me pardonner.
Tous restèrent silencieux, attendant la suite du discours paternel.
- A toi, mon aîné, je lègue mon palais et ses terres avoisinantes. Sois respectueux des hommes qui entretiennent tes champs et tes prairies, car c'est le fruit de leur dur labeur qui fera ta richesse.
En entendant ces paroles, le fils ne put contenir sa joie. Assurément, il avait la meilleure part. N'était-ce pas le signe qu'il était le préféré ?
- A toi, puîné, j'offre mes commerces et mes coffres d'or. Je sais que tu en feras le meilleur usage, car tu as toujours agi avec sagesse et probité.
Le deuxième fils ne put contenir sa joie, car une jeune fille lui était promise et il était, désormais, assuré de belles épousailles.
- A toi, mon cadet, j'offre mes bateaux et leurs cargaisons car je connais ton goût de l'aventure et tu sauras parcourir le monde sans jamais t'égarer.
Le jeune voyageur remercia chaleureusement son père, car, depuis toujours, il rêvait de découvrir de nouveaux horizons et de naviguer sur les océans.
Ensuite, il dit :
- A toi, mon benjamin, j'offre mes alezans et mes étalons, mes agneaux de lait et mes génisses, mes forêts giboyeuses et mes rivières peuplées de truites et de saumons. Tu aimes la nature et la chasse. Jamais tu ne connaîtras l'indigence ou la misère.
Le jeune garçon ne se contint pas de joie car il appréciait plus que tout, la solitude et les grands espaces. Au dernier de ses enfants, le père annonça :
- A toi, mon fils, j'offre le bien le plus précieux : un bouquet de fleurs des champs.
Le fils en question était jugé simple d'esprit et était à l'origine de bien des discordes au sein de la famille, ne sachant qu'admirer les nuages et parler aux oiseaux, sans jamais participer aux efforts communs. Avec force effusions, le dernier-né embrassa bruyamment son père sur les deux joues, juste au moment où il s'endormait pour l'éternité.
La période de deuil écoulée, chacun partit accomplir sa destinée. Le plus jeune, fier comme un paon, entreprit un long voyage, tenant fermement dans sa main le cadeau paternel. Ses frères le regardèrent s'éloigner avec consternation. Qu'allait-il advenir de lui ? Cependant, leurs craintes furent de courte durée. Au moins, ils n'auraient pas à s'encombrer d'une bouche inutile.
Tel un tourbillon, les saisons défilèrent, et quand, enfin, le dernier fils revint dans sa contrée, ses cheveux avaient grisonné et son dos s'était courbé. Il espérait simplement revoir ses frères et les serrer sur son cœur. Le premier qu'il vit, fut son aîné. Il paraissait si las et fatigué. Il n'eut pas à attendre longtemps des explications :
- Ah ! Mon ami, je suis bien aise de te revoir ! Je pensais, sottement, que j'avais été, à juste titre, distingué par notre père. Je me croyais invincible, mais tant de responsabilités ont eu raison de moi. Je n'ai plus la force d'entretenir mon patrimoine. Mon palais est en ruines et mes champs sont en friche.
Le deuxième qu'il vit, ne valait guère mieux. Son teint était cireux et son regard absent :
- Je pensais que l'amour d'une femme m'apporterait joie et réconfort, déclara-t-il. Or, je ne connais que honte et désolation. Celle que je croyais vertueuse et aimante, s'est révélée cupide et vénale. Mes coffres sont vides et mon âme l'est tout autant.
Quant au troisième, ses rêves d'aventure s'étaient tristement achevés au bout d'un quai, lorsque ses navires coulèrent à l'horizon.
Le quatrième n'eut guère plus de chance, car ses troupeaux furent décimés par d'étranges fièvres, ses forêts disparurent dans de violents incendies et des étés ardents asséchèrent ses rivières.
- Nous sommes maudits ! déclarèrent-ils en chœur.
- Tous vos malheurs m'affligent et je n'en connais pas la cause, s'écria le dernier-né. Cependant, j'ai pour vous le remède à tous vos maux.
Curieux, tous l'entourèrent avec empressement :
- Quel est-il ? ajoutèrent-ils.
Et le simple d'esprit de répondre :
- Un bouquet de fleurs des champs. C'est le bien le plus précieux, car c'est le vent qui le sème, le soleil qui l'épanouit et la pluie qui le gorge de sève. Pas de contrainte, pas d'effort et nulle souffrance. Juste un moment de grâce, afin d'aimer et s'émerveiller. La liberté.