Un vigneron, autrefois, n’était pas du tout content de son vin.
Il avait pourtant tout essayé, foulant aux pieds le raisin mûr dans les meilleures cuves, choisissant les plus beaux fûts de chêne. Mais rien n’y faisait : il résultait de toutes ses tentatives qu’une horrible piquette. L’homme, pourtant, ne manquait ni de persévérance ni de talent mais parfois les forces le quittaient. Surtout au crépuscule, où il se sentait vraiment las et abandonné. Mais au matin, à nouveau, il se relevait. Dans la transparence de l’aube, il retournait à la vigne, contemplant l’œuvre divine. Il se laissait pénétrer par les rayons célestes et repartait d’un bon pas.
Là-bas, à l’horizon, le soleil resplendissait et le brave homme, à voix haute, s’encourageait :
- Allez mon gars, il faut y aller.
Mais le résultat n’en était pas meilleur pour autant, bien au contraire. Excédé par toutes ces turpitudes, il songea même à cesser ce combat inutile. Heureusement, le destin l’attendait au tournant. Descendu à la ville pour acheter de quoi améliorer son ordinaire, il entendu dire qu’un sage vivait au fond d’une sombre forêt, dispensant parcimonieusement son enseignement, apte à ôter les vices et améliorer les vertus. Le vigneron se mit en chemin immédiatement.
Le sentier était escarpé mais le vigneron finir par voir le sage qui se tenait dans une clairière. Sans trembler, l’homme s’avança mais le vieillard ne releva même pas la tête.
- Vois-tu combien les fourmis sont intéressantes ? déclara ce dernier. Hardies à la tâche, rien ne les rebute, portant sans relâche le lourd fardeau de la communauté. Quelle responsabilité pour si peu de profit : une miette tout au plus. Alors, fils, pose-moi ta question ou plutôt, pose-moi LA bonne question.
D’une seule traite, le fils en question débita son discours, sans omettre la moindre humiliation ni le moindre tourment. Quand il eut fini sa diatribe, le sage répondit sobrement :
- Le remède est simple, oublie ton nom.
Face à cette réponse sibylline, le malheureux en resta bouche-bée. En maugréant, le vigneron s’en retourna, toujours aussi confus et désespéré. Oublie ton nom, oublie ton nom, est-ce-que seulement je le connais, mon nom ? songea-t-il en se grattant la tête.
Remué par de sombres pensées, il finit tout de même par arriver devant sa porte. Il l’ouvrit et se remit au travail. Mais quelque chose, subtilement, avait changé : le pied était plus léger, le raisin plus juteux et la peine moins lourde. Évidemment, il fallait attendre avant que le vin ne soit tiré. Mais pour la première fois de sa vie, l’homme n’était pas pressé. Il se hâtait sans précipitation et si lentement que parfois, il pouvait entendre sa vigne chanter. Ivre de bonheur, il parcourait en tous sens sa terre retrouvée.
Dans le temps resplendissant de l’automne, le vin nouveau fut prêt. Allait-il être bon ? Le vigneron songea à ce que lui avait dit le vieillard et sut que cette question était inutile. La fourmi savait-elle si son travail avait un sens ? Avait-elle besoin de reconnaissance et devait-elle quémander une miette supplémentaire pour continuer sa tâche ? Tous ces vains questionnements, finalement, étaient sans importance mais ce que l’homme savait, sans même y mettre la langue, c’est que cette année, le vin serait doux au palais.