Ah, l’effet placebo ! dans les médias, on le sert à toutes les sauces…
Nous nous demandons tous comment une substance réputée sans principe actif peut être efficace. Comment, par exemple, le fait de croire qu’on nous injecte de la morphine (alors qu’il s’agit de sérum physiologique) peut-il faire disparaître la douleur ? Comment une pilule (de simple amidon…) peut-elle nous guérir d’un ulcère de l’estomac, avec un niveau de rechute inférieur à celui impliquant un médicament ?
La question posée –comment une idée, production de l’esprit, peut-elle agir sur le corps physique ?– reflète une vision cartésienne qui prône la dichotomie entre le corps et l’esprit. Mais cette vision duale est fausse, nous l’avons compris grâce aux neurosciences. Ces disciplines se sont constituées avec l’ambition d’expliquer (entre autres) le fonctionnement cognitif par des interactions entre les neurones. D’un point de vue philosophique, c’est la position du matérialisme.
La conscience ? Une illusion…
Dans les années 1980, certains neuroscientifiques ont proposé un matérialisme "éliminatif" : pour eux, la conscience (par exemple) n’existe pas en tant que telle, elle est un épiphénomène. Dans ce contexte, la conscience est une illusion. Ce qui se passe réellement dans notre cerveau est que les aires corticales associées au langage activent automatiquement, et en permanence, des mots qui sont représentatifs de nos états corticaux. Si ces mots sont prononcés, alors nous parlons. Si nous restons silencieux, alors c’est notre voix intérieure.
En 2010, une théorie neuronale de la cognition pose que le cerveau ne traite pas l’information, il ne fait QUE la représenter. Cette théorie compte déjà quelques succès. Elle a émis des hypothèses constructives sur la nature du sommeil, l’hypnose, l’intelligence, la mémoire, le plaisir, ou encore la fatigue cognitive.
Médecine darwinienne
La médecine évolutionniste ou darwinienne, récemment explorée par les chercheurs, nous permet également de mieux comprendre l’effet placebo. Elle explique pourquoi et comment l’apparition de fièvre, douleurs, nausées, vomissements, diarrhée, toux, anxiété, sont le résultat d’actions induites par nos neurones dans le but d’aller mieux. Prenons l’exemple de la fièvre, avec son augmentation de la température corporelle. Cela permet une plus grande efficacité des cellules du système immunitaire : la production d’anticorps augmente, la reproduction des bactéries est freinée, et, in fine, le corps est mieux armé pour lutter contre l’infection.
Quel rapport entre ces deux avancées scientifiques, et comment vont-elles nous faire mieux comprendre l’effet placebo ? La théorie explique comment nos neurones corticaux codent pour les idées, la médecine évolutive explique comment nos neurones interviennent pour nous aider à retrouver la santé. Nous savons, grâce à la neuroanatomie, que les différents réseaux neuronaux sont interconnectés. Nous en déduisons donc que l’effet placebo peut se déployer puisqu’il existe une continuité du réseau neuronal, depuis les sous-réseaux en charge des représentations (idées) jusqu’à ceux en charge des boucles de régulations (physiologie).
Effet placebo et montée de fièvre
La question est de savoir comment les neurones qui prennent en charge une idée particulière (je ne vais plus avoir de fièvre après avoir avalé cette pilule) peuvent modifier l’état d’activation des neurones pilotant la régulation de la température corporelle.
La réponse à cette question nécessite de comprendre comment une information est représentée au niveau du cerveau.
À chaque instant, seul un petit nombre de neurones sont actifs (soit quelques centaines de millions sur les quelque 82 milliards) : c’est l’état global d’activation (EGA). Ce moment dans le cerveau va être mémorisé par le biais de mécanismes impliquant les synapses. Il en est ainsi de tous les moments, et notre journée s’écoule de l’un à l’autre au fur et à mesure que notre environnement change ou qu’émergent de nouvelles pensées.
Parmi les EGA qui se sont formés au cours de notre histoire individuelle, il y en a sans doute au moins un qui reflète un moment où la fièvre est descendue et où nous l’avons su. Cet EGA contient donc à la fois une activation de neurones des aires corticales associées au langage représentant l’idée de la baisse de la fièvre et une activation de neurones situés dans l’hypothalamus agissant sur la régulation (physique) à la baisse de la température.
Quand les neurones s’activent
Les connexions neuronales dans le cerveau sont tout aussi nombreuses depuis la périphérie vers les zones de haut niveau d’abstraction (cortex) que depuis le cortex vers la périphérie. De ce fait, la seule idée d’une baisse de la fièvre (cortex) active les neurones hypothalamiques, lesquels sont suffisants pour effectivement induire cette baisse de température. De manière symétrique, la seule activation des neurones hypothalamiques sera également suffisante pour activer les neurones corticaux qui nous permettront de dire que la fièvre baisse (avant même que nous ayons pris notre température).
L’effet placebo est donc ancré dans le fonctionnement normal du cerveau. Notons que seuls les jeunes enfants et les personnes souffrant d’une maladie neurodégénérative n’y sont pas sensibles. L’effet placebo est de facto efficace sur de nombreux symptômes ayant pour origine les divers systèmes régulés par des neurones : hormonal, immunitaire, cardio-vasculaire, digestif, etc.
La publicité télévisée pour les médicaments autorisée aux USA depuis 1997 s’est révélée contre-productive pour l’industrie pharmaceutique : elle a renforcé l’effet placebo puisqu’elle a contribué à augmenter le nombre d’EGA codant pour une disparition des symptômes après la prise d’une pilule ! Ce qui explique, au moins en partie, que de nombreux médicaments en cours de développement par l’industrie ne parviennent pas à montrer une efficacité supérieure à un placebo.
Une pilule qui soigne sans effets secondaires
Mais alors, pourquoi un effet placebo si efficace n’est-il pas mieux mis à contribution par les médecins et les autorités sanitaires ? Le Serment d’Hippocrate du Code de déontologie médicale (sous la surveillance du Conseil de l’Ordre des médecins) interdit la prescription de placebos au motif qu’il ne faut jamais tromper la confiance du patient.
Anagramme du mot placebo, le Lobepac, pilule bleue ou rouge vendue en pharmacie, n’a d’ailleurs pas rencontré son marché (seulement 500 boîtes vendues). Pourtant, le placebo présente de nombreux avantages : outre son coût de production minime, il soigne et n’induit pas d’effets secondaires. C’est vraisemblablement son plus grand crime pour une industrie qui médicamente tout état psychique ou physiologique s’écartant un tant soit peu d’une norme du bien-être toujours plus élitiste.