Un homme avait trois fils. Tous les trois étaient extraordinaires, et il était extraordinaire qu'ils fussent tous les trois vivants et en bonne santé : ils étaient triplets.
L'homme était inquiet car il avançait en âge et n'avait pas encore pu se décider pour désigner celui de ses trois fils qui lui succéderait. Alors il fit appel au sage du village afin qu'il teste les capacités de ses fils pour choisir le plus fort.
Le sage fit s'éloigner les trois jeunes hommes et installa une cruche remplie d'eau en équilibre sur le dessus de la porte d'entrée du jardin entrouverte. Il appela alors le premier des trois fils. Lorsqu'il poussa la porte pour pénétrer dans le jardin, est arrivé ce qui devait arriver : la cruche tomba tout droit sur la tête du jeune homme. Celui-ci, vif comme l'éclair, dégaina son sabre et fracassa la cruche avant qu'elle ne l'atteigne.
Impressionné par tant de vitesse, le sage acquiesça de la tête et demanda au premier fils d'attendre dans le salon à l'intérieur de la maison. Il installa une nouvelle cruche comme la précédente et appela ensuite le second des trois fils.
Lorsque le second fils poussa la porte pour pénétrer dans le jardin, la cruche tomba tout droit sur lui. Celui-ci, vif comme l'éclair, attrapa la cruche dans ses bras avant qu'elle ne lui fende le crâne.
Impressionné par tant de vitesse et heureux d'économiser une cruche, le sage acquiesça de la tête et demanda au second fils d'attendre dans le salon à l'intérieur de la maison avec son frère. Il réinstalla la cruche sur la porte et appela ensuite le dernier des trois fils. Lorsque le fils poussa la porte pour pénétrer dans le jardin, la cruche tomba tout droit sur lui, comme pour ses deux frères. Celui-ci s'écarta pour éviter la cruche qui se fracassa par terre en répandant toute l'eau sur le sol pavé.
Le sage acquiesça de la tête et demanda au troisième fils d'attendre dans le salon à l'intérieur de la maison avec ses frères. Le père, très content de l'aide du sage, vint le rejoindre en applaudissant, enthousiaste, et en s'exclamant que le premier de ses trois fils, était assurément taillé pour le succéder tant sa rapidité et son adresse étaient avérées. Le sage ne dit rien. Le père, interloqué, réfléchit au désaveu du sage quelques instants, et comprit que le premier enfant avait certes cassé la cruche avant qu'elle ne le blesse, mais aurait tué un ami qui se serait amusé à lui faire une farce...
Le père demanda alors au sage s'il aurait raison de confier sa succession à son deuxième fils, parce qu'il lui avait bien réagi en ouvrant les bras pour attraper la cruche. Le sage ne dit rien. Le père réfléchit encore au désaveu du sage, et comprit que son deuxième enfant avait certes attrapé la cruche avant qu'elle ne se casse, mais aurait été tué par un ennemi qui se serait caché pour l'agresser...
Le sage esquissa un sourire, et dit :
- Oui, tu as finalement bien compris que la meilleure attitude a été choisie par ton troisième fils : n'ayant pas le temps de savoir si ce qui lui tombait dessus était ami ou ennemi, il s'est promptement écarté pour se mettre hors d'un éventuel danger sans pour autant influencer le devenir de ce qu'il ne connaissait pas.