Accident, agression, mort d’un proche, humiliation… Pour surmonter un souvenir douloureux, plusieurs types de thérapie préconisent de se confronter progressivement, en imagination ou dans la réalité, à tout ce qui l’évoque, par exemple un parc où l’on a été agressé, ou une route où l’on a eu un accident. Mais cette exposition est vécue comme insupportable par de nombreux patients, conduisant à des abandons fréquents de la thérapie. Une équipe sino-américaine a alors montré l’efficacité d’une alternative étonnante : réactiver les souvenirs de façon inconsciente, après avoir ouvert dans leur cerveau ce qu’on appelle une "ombre amnésique".
On crée une telle ombre en demandant à la personne de mémoriser des paires de mots (comme "docteur-aiguille"), puis en lui présentant l’un des mots tandis qu’elle doit essayer de ne pas se rappeler l’autre, pourtant associé dans son esprit : s’instaure alors une fenêtre de temps d’au moins dix secondes pendant laquelle le cerveau peine à enregistrer de nouveaux souvenirs, voire à garder la trace des anciens souvenirs réactivés à ce moment-là. En cause : une perturbation du fonctionnement de l’hippocampe, sorte de chef d’orchestre de la mémoire.
D’où l’idée d’utiliser cette "fenêtre d’oubli" pour effacer les souvenirs traumatiques. Les chercheurs ont alors simulé de tels souvenirs chez les membres de leur expérience, en leur présentant des photographies de scènes insoutenables contenant un indice susceptible de les évoquer, par exemple une poupée si la scène figurait un assassinat avec une mère et son enfant allongés par terre, une poupée à côté d’elles. Puis ils ont créé chez eux une ombre amnésique grâce à la technique des paires de mots associés, avant de profiter de la perturbation temporaire de la mémoire pour afficher l’indice sur un écran, de façon subliminale, de sorte que les participants n’avaient pas conscience de l’avoir vu et d’avoir pensé à l’image associée.
Résultat : lors d’un test ultérieur, les participants se sont moins souvent souvenus des scènes insupportables que les personnes du groupe témoin, signe que la réactivation inconsciente pendant une ombre amnésique affaiblit bel et bien la trace mémorielle. Reste à tester cette technique chez des patients traumatisés, et non avec des volontaires exposés à des événements douloureux qu’ils n’ont pas réellement vécus.