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Catherine

J'aurais bien aimé...

Automne. Et cette nostalgie douce-amère qui nous prend devant le sol gelé, la brume du matin, les branches toujours nues qui se découpent sur le ciel gris. Flotte une odeur de terre mouillée et d'humus ; j’aspire à la saveur de feuilles et de rivière d’un délicat thé vert. Son parfum éveille en moi une nostalgie encore plus grande, d’autres temps et d’autres lieux.

J’aurais bien aimé être une de ces femmes qui suivirent le Bouddha, il y a deux mille cinq cents ans en Inde, sans autre bien que leur bol à aumônes et leur vêtement de nonne, quittant échoppe ou palais, vie de fille à marier ou vie de courtisane, pour se consacrer à une vie spirituelle et avancer sur la Voie de l’Illumination, la poussière est lourde sur les routes, et des traînées de sueur tracent de petites rigoles sur les crânes rasés.

J’aurais bien aimé vivre en une époque où la quête spirituelle était considérée comme la tâche la plus importante d’une vie humaine. J’aurais bien aimé marcher de village en village, me nourrissant le matin des aumônes reçues, passant l’après-midi à méditer, au frais des arbres, dans la forêt tranquille.

J’aurais bien aimé, quelques siècles plus tard, être auprès d'une nonne bouddhiste chinoise. Après avoir vécu à la cour et essayé de persuader l’empereur de ne plus chasser et de gouverner avec compassion, elle fut autorisée à se retirer dans un petit couvent en pleine campagne pour une vie de recueillement et de silence. Plus tard, quand le gouvernement voulut fermer les temples, elle écrivit sur le mur de son ermitage un poème qui commence par ces mots : En toute hâte, nous rassemblons nos sacs : pas grand-chose à emporter. La lune sur nos épaules, nous prenons le chemin des grottes des montagnes. Je ressens une telle tristesse pour les jeunes grues nichées en haut des pins, et pour abandonner les fleurs plantées ce printemps.

J’aurais pu aussi vivre au Japon, près de Kyoto, capitale impériale du faste et du raffinement, quand des montagnes entières se sont recouvertes de temples, immenses constructions de bois de cèdre, aux toits recourbés de tuiles grises. De grandes statues de Bouddha, au doux sourire, éclairent les vastes salles, des cloches et des gongs rythment le pas de chaque jour. Revêtus de leurs étoles safran, les moines se rassemblent pour les heures de dévotion et de cérémonies, mais sous peine de mort, aucune femme, nonne ou laïque, ne peut mettre le pied sur cette montagne sacrée.

Et ah ! J’aurais tant voulu être petite souris dans la cabane du moine-ermite-poète Ryokan, près du mont Fuji il y a presque trois siècles. Il était facile à trouver, son ermitage :

-  Si quelqu’un me demande où j’habite, je réponds : au coin nord-est de la Voie lactée. Juste là où nous avons tous un jour rêvé d’être. Auprès de lui, j’aurais vagabondé à son invitation : en ce jour de printemps, je m’arrête pour cueillir des violettes… Oh, la journée est déjà finie.

À la nuit, avec d’autres nonnes, nous serions restées à regarder la lune, à échanger des poèmes ; l’une de nous aurait écrit :  Lune brillante, chez moi je rentre, mon ombre me suit.  Et si on nous avait demandé ce que nous faisions, nous aurions pu répondre comme : je ne puis le dire, je ne peux que le vivre.

Un rayon de soleil éclaire un instant le ciel gris ; la rivière chante en bas du chemin, un oiseau s’élance vers le ciel. Cette vie-ci, à cette époque-ci, la voici : si brève, et si pleine.

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