Monsieur Wu, gouverneur tout-puissant d’une province chinoise ne pouvait plus ni manger, ni dormir, ni apprécier le chant du luth ou la présence de ses concubines. Une seule question le hantait : que doit-on faire de sa vie ? De cette vie si brève, n’avait-il pas déjà aperçu quelques cheveux blancs ; son bras n’avait-il pas parfois du mal à encorder son arc ? Nul autour de lui, ni devin, ni mage ne put lui donner de réponse. Alors, une nuit de printemps, le gouverneur Wu, seul, quitta le palais. Il trouverait peut-être dans les montagnes de ces hommes et femmes de silence consacrés à la vérité.
Les semaines passèrent ; chaque village l’emmenait un peu plus loin : on avait entendu dire que là-bas, au pied du prochain pic, peut-être, ou au cœur d’un massif éloigné, vivait un de ces hommes, protégé par les bêtes sauvages. Les journées se firent torrides puis fraîches ; le cheval disparut une nuit et le gouverneur Wu poursuivit sa route à pied ; il fut attaqué par des brigands qui l’assommèrent et dérobèrent sa robe brodée et sa bourse en or ; il franchit des cols, traversa des ponts de lianes, courut devant un ours, se déchira les mains aux racines épineuses et enfin, par un beau matin d’automne, arriva devant une grotte.
Là était assis un ermite, avec une vraie tête d’ermite, si je puis me permettre : hâve, barbu, le regard sévère. L’ex-gouverneur Wu, assis à ses pieds, tendit l’oreille pour entendre enfin la réponse à sa question :
- Voilà, dit l’ermite, ne pas faire le mal, faire le bien, et aider tous les êtres vivants.
Quel choc ! La déception, puis une terrible colère envahirent le pauvre ex-gouverneur. Tant de chemin, tant de difficultés, de souffrances pour entendre ça .Une réponse aussi stupide, aussi bête, aussi simple. Il se leva et lâcha d’un ton méprisant :
- Même un enfant de cinq ans sait cela !
- Hé, hé, rétorqua l’ermite, qui maintenant semblait plus ébouriffé, le regard amusé sous ses épais sourcils, c’est vrai, mais même un vieil homme de quatre-vingt-dix ans n’arrive pas à le faire.