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Catherine

L'intelligence du pardon

Un Pardonner fait intervenir une multitude d’aires cérébrales impliquées dans l’empathie, la prise de perspective et la régulation de l’affect. Pour ceux qui y arrivent, les bénéfices sont immenses, allant du soulagement à une meilleure gestion émotionnelle.

Vous aimeriez bien pardonner à votre fils les mots très durs qu’il a eus pour vous lors de votre dernière dispute, mais cette fois il est vraiment allé trop loin. Comment ce bébé que vous avez bercé pendant des heures avec amour pour qu’il s’endorme a-t-il pu devenir ce grand échalas qui vous toise du haut de son mètre quatre-vingt-dix et se permet de vous insulter et de vous reprocher tout ce que vous faites, ou plutôt tout ce que vous n’avez jamais fait pour lui ? Pourtant, il sait bien que vous avez une fâcheuse tendance à être rancunier et qu’il vous sera difficile de passer l’éponge cette fois-ci. C’est bien dommage. Car, à en croire les recherches neuroscientifiques de ces vingt dernières années, ressasser des émotions négatives comme la rancune n’est recommandé ni pour notre santé mentale ni pour notre santé physique.


Chasser la rancune


Rester prisonnier de ses rancœurs augmente la production d’hormones du stress comme le cortisol et majorerait le risque de dépression. Les émotions négatives liées à la rancœur et leur rumination introduits également un risque de développer une anxiété sociale, c’est-à-dire une inquiétude vis-à-vis des interactions que nous entretenons avec les autres.


Après avoir été offensé, que ce soit par son ado (ou son parent), un collègue, un voisin, ou un illustre inconnu, il ne nous reste donc qu’une seule solution pour préserver notre bien-être : pardonner. Et ce n’est pas pour rien que cette voie a été encouragée depuis des millénaires par les grandes religions monothéistes. À la fois parce que cette attitude tend à préserver la paix sociale, mais aussi parce que, découvre-t-on aujourd’hui, le pardon représenterait la stratégie positive la plus efficace pour surmonter une situation qui, sinon, aurait vite fait de représenter une source majeure de stress, aussi bien neurobiologique que psychologique.


Pardonner, donc, mais comment ? Car, avant d’en arriver à l’absolution, il faut passer par-dessus les émotions dévastatrices qui nous traversent lorsque nous sommes offensés. Se voir traiter injustement de tous les noms, trahi, agressé verbalement ou physiquement, est une atteinte qui nous touche souvent au plus profond de nous-mêmes. Or lorsque nous nous retrouvons dans cette situation, le sentiment qui s’ensuit est, suivant les cas, une douleur émotionnelle, de la colère, un désir de ne plus jamais être en contact avec celui qui nous a offensés, ou encore la volonté de le blesser en retour. Toute notre attention peut ainsi être accaparée par la rumination de ces sentiments, ce qui nous empêche de nous concentrer sur autre chose, ou encore par la mise au point de représailles, qui avec du recul, nous semblent plus insolites les unes que les autres mais qui, sur le moment, présentent l’intérêt non négligeable de canaliser notre ressentiment et de nous venger, au moins mentalement !


Ces trois types de réactions : rumination de la rancœur, passage à l’acte pour se venger et idées obsédantes de représailles, sont trois dangers qui guettent la personne offensée. Soit, elles lui nuisent par l’accaparement des pensées et le stress qui en résulte soit, elles ont des retombées négatives par une sanction sociale en cas de passage à l’acte soit, elles entraînent dans des imaginaires morbides. Face à ces trois écueils, le pardon est une échappatoire rêvée. Mais encore va-t-il falloir suivre un long chemin pour y arriver.


Le travail cognitif du pardon


On comprend bien que la clé est de savoir comment enclencher la mécanique du pardon. Or, de ce point de vue, la première chose est d’adapter ses réactions face à l’agression dont on a été victime, en évitant les pièges que nous venons de nommer. Cette simple tâche fait appel à des fonctions cognitives très élaborées qui engagent un grand nombre d’aires cérébrales. En effet, il faut être en mesure d’évaluer la situation, d’envisager quelles réponses il est possible de donner à ce qu’on a subi, et surtout de mesurer les conséquences des diverses réactions possibles afin de pouvoir choisir l’attitude la plus appropriée et la moins risquée pour la suite.


La capacité à pardonner est plus qu'un processus cognitif qui dépendrait plus de nos motivations personnelles que du simple reliquat d’une éducation religieuse. Dans cette conception, pardonner l’attitude de votre ado ou les mots durs de votre patron tiendrait d’une évaluation intellectuelle de la situation et des objectifs poursuivis.


La première évaluation concerne les conséquences d’une réaction trop impulsive. Se fâcher avec son supérieur, par exemple, pourrait entraîner des conséquences très préjudiciables à votre carrière, alors qu’à l’inverse il serait bien plus prudent de prendre de la distance par rapport à ce qui s’est passé et d’être capable d’ignorer cet acte, sans pour autant l’excuser.


La deuxième évaluation de la situation concerne les motivations de l’agresseur. Prendre le temps de les analyser est souvent très bénéfique pour bien mesurer la gravité et l’intentionnalité de l’offense. Prenons le cas où un pickpocket vous soutire discrètement votre portefeuille dans le métro. Réagirez-vous de la même manière si vous apprenez ensuite qu’il devait acheter des médicaments à son enfant malade avec votre argent ou si on vous montre que ce voleur roule dans une voiture de luxe ? Il y a fort à parier que dans le premier cas de figure vous aurez tendance à vous montrer bien plus clément que dans la seconde éventualité. Pardonner engage donc à la fois l’analyse de la situation d’agression, des dommages que celle-ci vous a causés, mais également des motivations de l’agresseur et des possibles conséquences de vos réactions, car une réaction très agressive vis-à-vis d’une personne qui ne pensait pas autant à mal que cela, pourrait se retourner contre vous.


Un cerveau miséricordieux


La complexité de ce processus se traduit, de fait, dans l’activité du cerveau : des chercheurs ont conduit une étude visant à mettre en lumière les bases cérébrales du pardon ou de la rancune. Pour ce faire, ils ont demandé à des participants de s’imaginer des situations où l’on se sent agressé. Les sujets devaient tout d’abord se représenter mentalement la scène suivante : Imaginez-vous en réunion avec votre patron et vos collègues. Votre patron est en train de planifier les tâches à venir dans l’entreprise. Soudain, il critique votre travail et remet en cause vos capacités devant tout le monde. Il vous signifie devant tous vos collègues votre licenciement et vous explique que vous devez quitter l’entreprise dès le lendemain matin.


Après cette agression caractérisée, une partie des participants devaient imaginer qu’ils pardonnaient à leur patron, que celui-ci avait raison parce que de leur côté ils n’avaient jamais donné le meilleur d’eux-mêmes dans leur travail. L’autre moitié des participants devait au contraire imaginer qu’ils ne pardonneraient jamais à leur patron et lui en garderaient une rancune éternelle, pire, ils devaient en outre réfléchir à la meilleure façon de se venger de lui.


Pardonner fait du bien


De manière tout à fait intéressante, les auteurs de cette étude ont enregistré non seulement le degré de colère des participants mais également leur sentiment de frustration ou au contraire de soulagement dans chaque type de scénario ainsi que leur activité cérébrale à chaque étape de cette situation fictive. Les résultats ont montré que les sujets à qui l’on demande de pardonner ressentent des émotions plus positives que ceux qui restent cramponnés à leur ressentiment. En outre, leur cerveau présentait une activité bien particulière.


L’IRM a mis en évidence l’activation d’un réseau composé de trois aires cérébrales. Comment interpréter cette observation neuroanatomique ? Ces trois zones sont pointées comme étant impliquées dans la compréhension des états mentaux d’autrui, dans les mécanismes d’empathie et dans la régulation cognitive des affects (lorsqu’on réfléchit à une situation pour la mettre en perspective et réévaluer nos propres réactions émotionnelles). Se mettre en situation de pardonner suppose par conséquent deux choses : réguler ses émotions négatives de colère et d’agression et être capable, même brièvement, de se mettre à la place de l’autre. Autant dire… pas facile. Mais les résultats sont là : lorsqu’on parvient à faire ce chemin, les bénéfices sont au rendez-vous. Peut-être plus pour vous que pour la personne qui vous a causé du tort. Parfois, d’ailleurs, elle n’est même pas capable de le reconnaître, et il arrive qu’elle se moque bien de savoir si vous lui en voulez ou pas.


Pardonner suppose donc deux choses : réguler ses émotions négatives de colère et d’agression, et être capable, même brièvement, de se mettre à la place de l’autre.


Que faire la prochaine fois que quelqu’un vous aura offensé ? Pensez à activer votre "réseau du pardon", il vous permettra de résister à la tentation de la colère, de la rancune et de la riposte pour ne pas vous laisser ronger par le ressentiment. Puis il vous aidera à apprécier honnêtement la situation, en y faisant intervenir l’agresseur en tant que sujet à part entière. Même si la colère, la riposte, la revanche et la rancune sont terriblement tentantes sur le moment, elles menacent probablement votre bien-être sur le long terme. Respirez à fond, essayez de prendre en compte les conséquences potentielles d’une réaction trop vive, et de mettre en perspective ce qui vous est arrivé. Cela devrait vous aider, si ce n’est à excuser (qui suppose au moins en partie de justifier l’acte dont vous avez été victime), du moins à pardonner (qui implique de ne pas en tenir rigueur). Vous donnerez peut-être ainsi raison à Victor Hugo, qui affirmait dans L’Art d’être grand-père : Le pardon, quel repos !

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