top of page
Catherine

La santé, sous l'empire des émotions

Stressés, nous sommes souvent malades et souffrons davantage de troubles cardiaques. Heureux, nos facteurs physiologiques sont meilleurs. Pourquoi ? Les chercheurs découvrent les mécanismes de la médecine corps-esprit.


Après une longue période de stress à votre travail, liée au bouclage d'un projet important, vous vous sentez soulagé, mais fatigué. Vous prenez alors une semaine de vacances pour en profiter… Malheureusement, vous tombez malade dès le premier jour et passez votre temps au lit à lutter contre cette grippe maudite ! En revenant au bureau, vous racontez votre semaine "de repos" à votre collègue, qui lui aussi était parti au soleil après la finalisation du dossier. Contrairement à vous, il est de retour en pleine forme. Le stress précédant ses vacances ne l'a pas rendu malade… C'est toujours la même histoire d'ailleurs, vous êtes malade à chaque période de vacances. Votre stress influence-t-il votre forme, voire votre résistance aux maladies ?


Oui : il est désormais impossible de l'ignorer, le corps et l'esprit sont indissociables. Nous ne pouvons plus concevoir la santé physique sans prendre en compte le mental, l'esprit, les pensées et les émotions. Bien que la question des liens entre l'esprit et le corps ait traversé l'histoire de la médecine et de la science, ce n'est que récemment que les mécanismes de la médecine corps-esprit ont commencé à être mieux compris. Ces processus sont depuis quelques dizaines d'années au centre de très nombreux travaux de recherche.


Un coupable : le stress


Le stress est le mécanisme au centre des relations corps-esprit. Ce terme désigne à la fois l'événement stressant –par exemple, une date limite intenable– et la réaction qui en découle, nous perdons nos moyens. La réaction de stress est la réponse non spécifique de l'organisme à toute contrainte de l'environnement. Quand une situation paraît dépasser les ressources d'un individu, elle est perçue comme une source de stress. C'est donc notre perception de la situation –nous considérons, ou pas, la date limite comme intenable– qui détermine si nous la vivrons, ou pas, comme stressante. Ce qui explique pourquoi nous réagissons de manière différente par rapport à une autre personne face à une même contrainte, ou encore que plus nous sommes fatigués, plus nous pouvons être stressés par une situation qui habituellement nous laisse de marbre.


Esprit et corps s'usent


Le cerveau est la tour de commande des processus liés au stress. Face à un stimulus perçu comme une menace, une structure appartenant au système qui gère les émotions, perçoit le signal de danger et s'active, entraînant une cascade de réponses physiologiques (sudation, augmentation du rythme cardiaque…).


Lors de cette réaction, l'organisme se mobilise pour affronter la menace. C'est ce type de réponse automatique qui a permis à nos ancêtres de survivre et de faire face aux dangers auxquels ils étaient soumis, notamment aux prédateurs (on combat ou on fuit). La réaction physiologique de stress provoque alors une mobilisation rapide d'énergie dans l'organisme, un afflux de sang dans les muscles, des effets fort utiles à court terme pour combattre ou fuir un danger, mais qui ne sont plus réellement adaptés aux situations de stress de notre époque où la menace est rarement une tigresse affamée… Au-delà du comportement de fuite ou de combat, la réaction de stress met en branle des mécanismes entraînant des conséquences très larges sur le métabolisme : sécrétion d'adrénaline et de cortisol (hormones de stress) et activation des mécanismes de l'inflammation.


La réponse de stress est donc parfois utile à l'organisme, par exemple lorsque nous devons sauter sur le trottoir au moment où une voiture manque de nous renverser. Ou, lorsqu'en cas de blessure, les mécanismes de l'inflammation se mettent en marche, permettant ainsi un afflux de cellules sanguines sur le site de la plaie, ce qui favorise la cicatrisation.


En revanche, la réponse de stress est délétère lorsqu'elle est trop fréquente et devient chronique, par exemple quand nous sommes "sous pression" au travail. Elle ne laisse alors pas le temps ou la possibilité à l'organisme de revenir à un état d'équilibre. Les capacités métaboliques du corps sont dépassées, le système est en quelque sorte en surchauffe ; les hormones de stress sont sécrétées en continu ; les cellules augmentent leur consommation d'oxygène. Cette surconsommation d'oxygène entraîne la fabrication de produits de dégradation toxiques pour l'organisme. Sur le long terme, le corps "s'use", ce qui favorise le développement de certaines pathologies : dépression, maladies virales telle la grippe, anomalies cardiovasculaires… La liste est longue.


Dans le cas des maladies cardiovasculaires, les mieux étudiées, les mécanismes liant les émotions, dont découle le stress, au développement des pathologies sont multiples et complexes : nos émotions modifient l'activité de différentes régions cérébrales qui, à leur tour, régulent le système nerveux dit "autonome" responsable entre autres de notre rythme cardiaque ; de même, le système nerveux dit "sympathique", qui contrôlent la sécrétion des hormones de stress, s'activent selon nos humeurs ; le cerveau module aussi les phénomènes de thrombose et d'agrégation des plaquettes, qui peuvent entraîner une obstruction des artères sanguines. Quand nous sommes anxieux ou stressés, ces processus sont mis en œuvre : le rythme cardiaque augmente, des hormones de stress sont sécrétées, les plaquettes s'agrègent, les artères rétrécissent…


Mais ce n'est pas tout. Parallèlement à ces mécanismes, directs et biologiques, des facteurs dépendant de nos comportements influent sur le risque de développer une maladie cardiovasculaire : l'alimentation, le tabac, l'exercice physique, le mode de coping (la façon dont nous tolérons, maîtrisons ou diminuons l'impact d'un événement menaçant sur notre bien-être) et le soutien social. Stressés, anxieux, déprimés, nous mangeons davantage, avons plus de difficultés à arrêter de fumer et faisons moins de sport. Des facteurs de risque à nouveau liés à nos émotions…


Précisons ce qu'est une émotion. C'est un état affectif mis en branle par une évaluation automatique de nos besoins. Elle implique des ajustements comportementaux, physiologiques et cognitifs liés à la situation. Elle prépare l'organisme à agir de façon efficace et adaptée dans un contexte donné. Pour faciliter leur étude, les émotions sont divisées en deux catégories : les négatives ou désagréables, et les positives ou agréables.


Les conséquences des émotions négatives comme la tristesse et la colère ont été bien étudiées. Elles sont associées à différentes pathologies : maladies cardiovasculaires, diabète, asthme et certains types de cancers. Elles sont aussi plus souvent présentes en cas de douleurs chroniques.


On a en effet montré que la colère était "toxique" sur le plan physiologique. Elle augmente la probabilité d'infarctus du myocarde et d'AVC. Une étude a récemment révélé qu'une colère intense multipliait par huit le risque d'infarctus.


Ces variables –l'hostilité, la colère, mais aussi le manque de soutien social– participent non seulement au développement d'une pathologie cardiovasculaire, mais aussi, quand la maladie existe, à son évolution et à son pronostic. Des travaux récents en neuro-imagerie sur un petit échantillon de sujets suggèrent que les personnes ayant une "réactivité" plus importante face à des signaux sociaux menaçants (des visages exprimant la colère ou la peur) ont des niveaux plus élevés d'athérosclérose, un remaniement et un rétrécissement de la paroi des artères qui peuvent provoquer des maladies cardiovasculaires.


Les liens sociaux sont une des dimensions psychosociales qui a été le plus tôt identifiée comme étant liée à la santé physique. Dès les années 1980, des épidémiologistes ont montré que les relations sociales étaient associées à la longévité. Les personnes ayant un réseau social large et riche étaient en meilleure santé et vivaient plus longtemps.


Dès cette période, la question s'est posée : comment les relations que nous entretenons avec autrui passent-elles "sous la peau", ou encore quels sont les mécanismes liant nos fréquentations et notre physiologie ?


Plusieurs études ont mis en évidence que les liens sociaux de bonne qualité jouaient un rôle "tampon". Autrement dit, avoir des relations conviviales et agréables avec autrui, ne pas nous sentir isolés, nous permet de réagir de façon plus modérée face aux stress de la vie quotidienne. Les liens sociaux de bonne qualité ont des effets bénéfiques sur les systèmes cardiovasculaires, endocriniens (les hormones) et immunitaires (les défenses de l'organisme). Ainsi, nos relations sociales modèrent les effets du stress en atténuant la réactivité cardiovasculaire, la sécrétion de cortisol et les processus inflammatoires. Dès lors, elles sont associées à une moindre susceptibilité aux infections, ainsi qu'à une baisse moins importante des facultés cognitives avec l'âge. Bien entourés, nous vivrions donc en meilleure santé physique et cognitive !


L'étude de l'impact des émotions sur la santé progresse à pas de géant. Pendant de nombreuses années, les scientifiques se sont intéressés aux conséquences des émotions négatives, plus faciles à exprimer et à mesurer. Mais depuis une vingtaine d'années, ce sont les émotions positives qui sont enfin au centre des travaux de recherche.


Quel est le lien entre des émotions telles que joie, vitalité, curiosité, gratitude et le fait de vivre plus longtemps ? Depuis la fin des années 1990, des chercheurs ont révélé que les émotions positives améliorent notre santé physique : résistance plus élevée face aux infections, probabilité diminuée d'accidents cardiovasculaires et vasculaires cérébraux, et, comme nous venons de le voir, longévité prolongée.


Deux expériences permettent de mieux comprendre les mécanismes impliqués. Des chercheurs tentent de comprendre les liens entre les émotions positives et le système immunitaire. Pour ce faire, ils ont demandé à des participants de noter pendant plusieurs semaines leur état psychologique en mesurant leurs émotions positives (heureux, content, énergique, détendu…) et négatives (déprimé, anxieux, hostile…). Les chercheurs les ont ensuite invités à leur laboratoire où ils les ont mis en contact avec un virus de rhume (inoffensif) contenu dans des gouttes nasales. Puis ils ont surveillé les étudiants afin de déceler s'ils développaient des symptômes.


Résister aux infections


Le résultat est impressionnant : les participants ayant ressenti le plus d'émotions positives dans les jours qui précédaient la mise en contact avec le virus sont beaucoup moins souvent tombés malades. En revanche, le nombre d'émotions négatives n'exerçait aucune influence sur la santé. Ce sont donc les émotions positives qui sont liées à une plus grande résistance de l'organisme face aux virus.


La deuxième expérience a permis d'aller de l'avant dans la compréhension des mécanismes de la médecine corps-esprit. Les chercheurs ont recruté des participants et les ont mis dans un premier temps en situation de stress : ils leur ont annoncé qu'ils allaient devoir préparer, puis présenter un exposé devant un jury composé de quelques personnes. En même temps, leur tension artérielle et leur fréquence cardiaque étaient mesurées, ce qui a permis de constater que les réactions physiologiques de stress se manifestaient bien, les deux paramètres étant augmentés de façon importante. Les participants étaient ensuite divisés en quatre groupes, chacun visionnant un clip de quelques minutes, parmi quatre vidéos choisies au préalable pour leur tonalité émotionnelle distincte : joie, contentement, neutralité, tristesse.


Les chercheurs ont révélé que le temps mis par chacun des groupes pour revenir à l'état d'équilibre sur le plan physiologique (tension artérielle et fréquence cardiaque normales) différait en fonction du clip visionné. Les personnes ayant regardé la vidéo triste ont récupéré des paramètres cardiovasculaires normaux plus lentement que celles ayant vu les clips joyeux ou paisibles. Les sujets du groupe neutre se trouvaient entre les deux extrêmes. Nos émotions exercent donc une influence directe sur la santé de notre cœur.


Alors pour être en bonne santé et tenter de le rester le plus longtemps possible, autant vivre de nombreuses émotions positives : joie, rire, curiosité, altruisme, partage, amour, amitié, détente… Vous contrôlerez ainsi mieux votre stress face à des situations déstabilisantes. Différentes méthodes permettent d'y arriver, seul ou avec l'aide d'un thérapeute.


Méditer améliore la santé physique


C'est le cas notamment de la méditation ; de nombreux travaux ont décrit les effets positifs de la méditation, en particulier celle de pleine conscience, tant sur la santé mentale que physique. Des chercheurs ont établi des liens fascinants entre les approches méditatives et la santé physique en se centrant sur l'expression des gènes. Ils ont montré que la pratique de la méditation activait les gènes impliqués dans les mécanismes protégeant l'organisme contre les effets du stress.


Ainsi, de plus en plus de scientifiques cherchent au plus profond de nos cellules les traces laissées par le bonheur. Une série d'études a tenté de lier différents types de bien-être à l'expression de gènes qui diminueraient ou favoriseraient les effets du stress. Ils ont identifié deux types de bonheur : le premier, le bonheur hédonique, correspond à la recherche du plaisir et à l'évitement de la souffrance ; le second, le bien-être eudémonique, est lié à la réalisation de soi, à l'autonomie, aux relations positives vis-à-vis des autres, ainsi qu'au sens que nous donnons à notre existence.


Ces deux types de bien-être semblent équivalents en termes de satisfaction ; par exemple, nous sommes heureux quand nous nous faisons plaisir en dégustant une bonne glace en été tout comme nous sommes heureux quand nous terminons un projet avec succès au travail. Toutefois, le bien-être eudémonique, celui qui au-delà de la gratification immédiate donnerait un sens à l'existence, était davantage associé à une activation des gènes "antistress" que le bien-être hédonique.


Les gènes du stress


C'est notamment au niveau des cellules immunitaires que les profils d'expression génétique des deux types de bonheur divergent. Un stress chronique engendre notamment une augmentation de l'expression des gènes impliqués dans l'inflammation. Or ce mécanisme est lui-même au centre de nombreuses pathologies telles que l'arthrite et les maladies cardiovasculaires.


Nous le voyons donc bien, les liens entre l'esprit et le corps nous révèlent progressivement leurs secrets. L'esprit agit sur le corps, mais aussi sur le cerveau, qui n'est pas un matériau figé. Nous pouvons choisir de penser différemment, ce qui a des effets sur nos activités cérébrales, certaines jouant à leur tour un rôle clé dans notre santé et notre bien-être. La médecine corps-esprit a longtemps été en marge de la recherche, mais elle est aujourd'hui une discipline scientifiquement validée.


bottom of page