Partie 2 : À l’origine était le massage
Beaucoup de massages ont une histoire ancestrale et s'inscrivent dans la tradition des plus vieilles civilisations du monde. L'origine de sa pratique peut être retracée jusque dans l’Antiquité, 3 000 ans avant Jésus Christ. Les peuples de la Perse, de l’Égypte en vantent les mérites dans leur littérature. Des textes et illustrations démontrent qu’il faisait partie de la médecine traditionnelle chinoise vieille de 4 000 ans, combiné à des exercices physiques et respiratoires, ainsi que de la médecine ayurvédique de l'Inde (environ 6 000 ans).
Chez les Grecs, passionnés par la beauté et l'éducation physique, le massage s'inscrivait dans la culture populaire. Il était de coutume dans les palestres de faire suivre un bain d'une bonne friction avec des huiles. Hippocrate (460-377 av. JC), le père de la médecine occidentale, l'utilisait comme méthode de traitement.
Les Romains pratiquaient les massages dans les endroits publics (salles de repos, gymnases, ateliers de massage), mais ces lieux mal fréquentés se transformèrent en lieux de débauche, ce qui contribua à la mauvaise renommée du massage.
Si en Orient ces soins du corps ont été plus ou moins conservés par les différentes traditions, ceux-ci sont pourtant tombés en désuétude en Occident pendant de nombreuses années, où la religion (en dévalorisant le corps) et l’esprit rationaliste impulsé par Descartes (en donnant la prédominance à la raison sur le ressenti), ont séparé artificiellement le corps et l’esprit. C’est au 18ème siècle que l’Europe redécouvre que la peau n’est pas seulement une enveloppe mais un organe sensible et que le toucher est un sens à part entière qui peut procurer apaisement, soulagement et bien-être.
Le mot massage apparaît au 19ème siècle dans le vocabulaire français. Le terme vient du grec massein (en hébreu mashesh et en arabe mass) et signifie presser légèrement, palper, pétrir.
Depuis le médecin Piorry, qui fut le premier en 1818 à entreprendre des recherches sur les effets du massage, la massothérapie n'a cessé d'évoluer, de faire sa place dans la société et de s'intégrer dans les soins de santé.
Aujourd’hui, malgré le culte apparent du corps, sportif et visuel, notre mode de vie privilégie les activités de l’intellect au détriment des activités corporelles et néglige –voire occulte– des stimulations sensorielles, celles qui viennent du toucher. Et pourtant, le toucher est un réflexe archaïque qui appartient à l’Homme en général, quelle que soit sa culture.
Technique ancestrale, le massage est à bien des égards une pratique particulièrement adaptée à nos styles de vie. Fatigue, agressions extérieures, appauvrissement des contacts physiques font malheureusement partie du mode de vie moderne et conduisent chacun d'entre nous à éprouver un jour un certain mal-être.
Exercée par des professionnels, la pratique régulière du massage rétabli notre équilibre : apportant bien-être et détente, le massage de relaxation est une réponse douce, mais efficace et, de plus, très agréable, au stress du quotidien et devient instrument de développement personnel…
Dépassant la connotation strictement médicale ou à visée exclusivement sexuelle habituellement attribuée de façon réductionniste aux massages (le tantra, l'une des plus célèbres techniques à pratiquer en couple, va pourtant beaucoup plus loin car il est destiné à unifier les partenaires dans la même énergie), les sociétés occidentales redécouvrent cette liaison essentielle et intègrent de l’Orient et de l’Occident à la fois le savoir-faire et le savoir-être.
Dans un futur proche, le massage pénétrera inévitablement de plus en plus notre mode de vie, car il fait partie d'une hygiène de vie, au même titre que la musique comble l'ouïe, la gastronomie le goût, les parfums l'odorat, la peinture la vue…
Le sens du toucher, oublié, occulté, délaissé, est aujourd'hui réhabilité tant le besoin s'en fait sentir. Instrument de partage, il est communication non verbale et apaisement, il est meilleure connaissance de soi et des autres, convivialité et confiance.
En l'état actuel des choses
Les massages en Occident sont le domaine réservé des kinésithérapeutes. Prescrits dans une logique médicale et purement symptomatique de la rééducation d’une partie du corps plus ou moins paralysée, ils constituent un système de gymnastique médicale à base d’effleurages, pétrissages, pressions glissées, percussions et les vibrations.
S’inspirant du massage suédois mis au point par le physiologiste Per Henrik Ling -père de la kinésithérapie moderne- ces manœuvres ont une visée uniquement physique de relâchement des tensions musculaires locales et de restauration des tissus.
Le plus souvent sectoriels, ils ne sont pas conçus avec la notion de globalité du corps, pas plus que dans leurs composantes énergétiques, émotionnelles ou psychologiques.
Ne faisant l'objet d'aucun diagnostic et n'ayant aucune visée symptomatique, les massages orientaux, à la fois relaxant et dynamisant, ne sont pas médicaux au sens occidental du terme.
Dans la passivité qu'il impose, les sens tournés vers l'intérieur, l'individu s'apaise et tranquillise son système nerveux, retrouve l'unité et la conscience de lui-même. On assiste à une redécouverte du corps, qui est la base de la connexion à soi-même (ressenti, émotions) et à la réalité. Il y a passage de la conscience de "j'ai un corps" qu'il faut entretenir et réparer à "je suis mon corps".
Selon la plupart des massages traditionnels orientaux (Do-in, Amma, Thaï, Shiatsu, Réflexologie plantaire), l'univers est parcouru par un souffle appelé Purâna ou Prâna chez les Indiens, Chi en Chine et Qi au Japon et où l'homme est un microcosme relié à l’univers. Tous les êtres vivants pourvus d'une certaine quantité de cette énergie dès la naissance, héritée de leurs ancêtres, doivent l'entretenir par l'activité physique, l'alimentation et la respiration.
Les massages de relaxation favorisent la connexion à cette énergie, permettent sa libre circulation dans le corps et visent à rectifier les déséquilibres. Or, ces derniers précédant les symptômes, le massage se veut avant tout préventif. Il est le plus souvent accompagné, en cas de trouble chronique, de préparations médicinales particulières et de conseils alimentaires.
La peau : une conscience du corps
Couvrant la globalité du corps, notre peau pèse 4 kg pour environ 2 m² de superficie. Elle mobilise 70 % de la circulation sanguine et près de 650 000 récepteurs sensoriels, soit la quasi-totalité des terminaisons nerveuses. La peau est issue du même feuillet embryologique que le cerveau : l'ectoderme, qui donnera naissance à l'ensemble du système nerveux ainsi qu'à l'ensemble des organes des sens. Comme si la peau était la surface extérieure du cerveau ou bien le cerveau la couche la plus profonde de la peau, peau et cerveau sont ainsi les deux parties d'un même tout.
Outre ses fonctions d'élimination, de protection, de sécrétion, de respiration, la peau est l’interface du corps avec le monde, et nous permet donc d'avoir la conscience de nous-mêmes. La parcourir donne la conscience de la corporalité, de l’incarnation, de l'unité du corps.
Le toucher : sens interdit
Si le toucher est sans doute le premier sens à apparaître, il est sûrement le dernier à disparaitre. On peut être sourd, aveugle, muet, on sent toujours.
C'est souvent le dernier moyen de communication avec les personnes en fin de vie, mais aussi avec toutes celles qui souffrent ou qui ne peuvent communiquer par la parole (aphasie, paralysie, coma, problèmes de langue ou de culture). Nous ressentons toute notre vie le besoin d'être touché et nous recherchons d'une façon ou d'une autre la satisfaction de ce besoin élémentaire, aussi indispensable que se nourrir, vêtir, aimer, dormir.
Le langage digital est la première sensation que perçoit le bébé qui, comme votre chat ou votre chien, aime être touché et en a besoin. Cela est tellement vrai qu'on a constaté que les bébés privés très tôt de contacts manifestent plus tard dans leur vie adulte d'importantes perturbations : des comportements plus nerveux, plus agressifs, en sont les signes. Des troubles somatiques importants, en particulier respiratoires (souffle plus court, asthme) ou dermatologiques, en seraient les conséquences.
Si certains "ne croient que ce qu'ils voient", d'autres, plus sceptiques encore, ont besoin d'être pincés, pour être "sûrs qu'ils ne rêvent pas". L'acceptation de la réalité passe nécessairement par le toucher. Malgré ce besoin vital et équilibrant chez l'homme, le toucher, parmi tous les sens, apparaît comme le plus réprimé, du moins dans notre société occidentale. Toute l'éducation est basée sur le rejet du contact physique.
Toute cette retenue du toucher bloque d'une manière chronique nos gestes vers les autres. Nous nous retenons et cela se manifeste physiquement, musculairement, sous forme de mini-contractures qui s'accumulent et finissent par rigidifier complètement notre comportement.
Pourquoi tant de retenues ?
Tout le problème semble résider dans l'interactivité du toucher. C'est en effet le sens de la réciprocité immédiate. C'est justement cette qualité qui fait si souvent peur. On peut voir sans être vu, entendre sans être entendu... mais peut-on toucher sans être touché ? Quand je touche une personne, je la sens, elle me sent aussi et surtout je sais qu'elle me sent ! Perçoit-elle alors que je suis troublé, énervé, impatient, tendu, ému ou heureux ? Quiconque redoute cette implication va mettre en place une véritable stratégie d'évitements et trouver une distance confortable.
Alors, peut-on vivre sans être touché ? Sans doute, mais incontestablement moins bien !
Par ailleurs, quand quelque chose ne va pas, les premières réactions viennent souvent de nos propres attitudes ou de celles d'un proche : par exemple, on se frotte l'endroit douloureux, on évite de manger quand on est embarrassé, on se remue quand on a froid. Il est évident qu'on a souvent le bon réflexe ; dans de nombreux cas, on pourrait se prendre en charge soi-même sans appeler le médecin à tout instant, pour un mal de tête, de cœur, d'estomac ou autre.
De même, les douleurs du dos, de la nuque, la fatigue des jambes, les difficultés à dormir ou les moments de dépression peuvent être soulagés par des gestes que chacun peut dispenser, aidant ainsi l'autre.
C'est ce que vous faites quand vous serrez dans vos bras un ami pour le réconforter, quand vous lui frottez les pieds pour les réchauffer, quand vous calmez son mal de tête en pétrissant sa nuque tendue ou tout simplement en posant votre main sur son front. Cependant, il semble que nous hésitons de plus en plus à faire ce qui autrefois était communément pratiqué. Paradoxe de notre époque : les connaissances de l'individu dans tous les domaines se sont considérablement développées en même temps que le réflexe à ne faire confiance qu'à des professionnels est soigneusement entretenu.
Pourquoi le massage ?
Vous avez tous fait l'expérience des mains qui, d'emblée, vous apaisent, vous réchauffent, vous donnent du baume au cœur. Parfois, les mains de la personne qui vous est chère peuvent plus pour soulager vos maux que les meilleurs praticiens du monde. De même le massage est bien autre chose qu'une technique à effet mécanique. Son effet majeur se trouve dans la relation qui s'établit entre celui qui masse et celui qui est massé.
C'est un art défini comme une intention bienveillante qui prend forme grâce au toucher et à l'enchaînement de gestes sur tout ou partie du corps, qui permet de détendre, relaxer, remettre en forme, rassurer, communiquer ou simplement procurer du bien-être, agréable à recevoir et à pratiquer. Le massage existe depuis toujours et fait partie de notre patrimoine instinctif. Ce n’est pas une entité complètement à part, il participe à la gestuelle quotidienne des relations à soi-même et aux autres. Le massage est pratiqué partout dans le monde depuis des millénaires.
Plus récemment, chez nous, les massages se sont développés dans le cadre des soins infirmiers. Cette pratique, d’abord réservée aux hommes, est devenue progressivement une spécialité “infirmier-masseur“. En avril 1946 est née la profession de masseur-kinésithérapeute, créant ses propres critères de compétence. Depuis, la kinésithérapie s’est développée, affinée, perfectionnée aux dépens du massage manuel laissé pour compte et réduit à un acte codifié, technique et symptomatique. Avec un engagement très masculin pour la technicité au détriment du relationnel, le massage est devenu plutôt musculaire, réflexologique, cellulitique, mécanique.
Pratique empirique et de bon sens universel, existant depuis des millénaires, mais disparu dans la plupart des hôpitaux, le massage en tant que tel peut retrouver ses lettres de noblesse en s’inscrivant dans une démarche plus globale, relationnelle, non codée et démédicalisée.
Face à la multiplication des spécialités et la complexité des soins s’inscrit la nécessité de dispenser généreusement un soin qui lit intimement les qualités inhérentes au toucher : actions informelles, intuitives, relationnelles et présence et écoute bienveillante. Un retour aux choses simples qui peut atténuer les excès de la sacro-sainte technicité en rappelant au milieu médical l’importance et le caractère indispensable de la relation, de la douceur de l’humain... de la main. Quand une personne souffre de solitude, d’insécurité, d’anxiété ou de douleurs tenaces, la seule présence bienveillante d’un sujet à l’écoute, qui masse à ce moment précis, n’est-ce pas l’essentiel ?
Le massage est avant tout une relation à l’autre, une façon d'être et de faire et non une technique "plaquée". C'est un contrepoids certain à la brutalité de certains gestes et interventions médicales. Il apporte par le lien un soutien aux thérapies mises en place et quelquefois mal vécues. Fait d'attention et de tendresse, ces gestes d’accompagnement doivent être favorisés. Cependant, la pratique du toucher, si elle n’est pas fondamentalement opposée, n’a rien à voir avec celle des masseurs-kinésithérapeutes, travaillant pour l’essentiel sur prescription médicale en rapport avec le but de réparation et de réadaptation de l’individu.
Le massage est d'une grande simplicité et permet un contact confiant, sincère, authentique.
Le toucher, le massage et les soins palliatifs
Aujourd’hui les services de soins palliatifs interpellent la notion même du soin. Traiter est une chose, soigner en est une autre. En soins palliatifs ce ne sont ni le traitement, ni la visée thérapeutique de guérir qui sont prioritaires, mais prendre soin de la personne dans sa globalité, son intégrité, qu’elle vive le mieux possible les jours qui lui restent à vivre.
Ce n’est donc pas par hasard que le massage y trouve un écho extrêmement favorable, cette démarche globale étant respectueuse des réels besoins de chacun.
En effet, le patient en soins palliatifs vit des sentiments portés et exprimés par son corps. Il peut éprouver attirance, répulsion, amour, agressivité, haine. Le contact, le regard, le corps suggère sans faux semblant la présence, l'écoute ; il communique la confiance, la sécurité, le calme dont a besoin la personne en fin de vie.
Les soins palliatifs sont des soins actifs qui prennent en compte l’ensemble de la personne pour soulager ses douleurs physiques, sa souffrance morale et améliorer son confort. Le massage s'inscrit dans cette démarche d’accompagnement en exprimant au malade, aussi longtemps qu’il est en vie, la meilleure qualité de soins jusqu’au dernier moment.
Les kinésithérapeutes n'ont pas le monopole du massage : le massage est universel, utilisé partout et par tous depuis plus de 6000 ans !
Le massage des personnes âgées