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Catherine

Le moine et le novice


Moines cheminants sur un chemin.

La pluie de mousson crépitait sur la route, creusant des rigoles, dégageant des pierres.

Le moine et le novice cheminaient le dos courbé. Ils étaient attendus ce soir-là au monastère planté sur la montagne.

Ils avançaient, ne percevant jamais plus de trois pas devant eux.

Autour d'eux, le monde avait cessé d'exister. Un cocon blanchâtre et tiède annihilait tout bruit, toute couleur, toute odeur. Il était facile de voir qu'il n'était qu'illusion.

Ils avaient ôté leurs sandales de cuir détrempé qui sciaient leurs pieds fripés par l'eau. Les aspérités du chemin redevenaient sensibles sous la cal ramollie qui leur servait de semelle. Leurs tenues monastiques collant au corps, ils luttaient, mobiles statues, s'aidant de bâtons pour avancer à contre-courant. Des flots de boue dévalaient le monde, tourbillonnaient autour deux, entre mollets et genoux.

Eux n'avançaient qu'au prix d'un effort considérable, dans un mutisme au souffle rauque. Toutes leurs forces étaient à pousser un pied devant l'autre. Ils souffraient des hanches et les muscles des cuisses brûlaient sous l'effort. Une crampe parfois les arrêtait. Ils saisissaient alors à pleines mains le membre douloureux, le secouaient, le battaient de petits coups saccadés, le frottaient pour le réchauffer. Lorsque la crispation cessait, ils inspiraient, soulagés, et repartaient aussitôt vers le monastère perdu dans la brume.

Enfin la pluie cessa, laissant derrière elle une luminosité insaisissable, des couleurs avivées par l'eau, une odeur musquée de mousses et de vase. La route réapparut, les montagnes se révélèrent dans le ressac des nuages chassés par le vent.

Ils s'arrêtèrent pour tordre leurs vêtements et vider le fond des bols suspendus à leur ceinture. Puis reprirent la route.

Au détour du chemin, une femme trempée, qui considérait, consternée, le fleuve grossi par la mousson, leur barra le passage.

- Mère, lui dirent-ils respectueusement, car les moines nomment toutes les femmes "mère" pour éloigner le désir potentiel, pourquoi demeures-tu au milieu du chemin à regarder le fleuve ?

- Ma maison et ma famille sont de l'autre côté ; ce matin, je suis passé presque à gué, ce soir l'eau est si haute que je n'ose pas m'aventurer.

Le novice la prit aussitôt sur ses épaules et la fit traverser. Puis il revint auprès du moine.

Ils se regardèrent un instant pour se confirmer mutuellement qu'il était temps de repartir, et reprirent leur ascension qui dura encore plusieurs heures.

Ils arrivèrent en vue du monastère, un peu avant la tombée de la nuit. Épuisés par leur voyage, ils étaient soulagés de voir se profiler le grand bâtiment sombre et l'immense cloche blanche de stûpa. Ils firent une pause pour souffler un instant.

Le moine s'inquiéta :

- Comment vas-tu expliquer cela au lama ?

- Que dois-je expliquer au lama ?

- Cette femme que tu as prise sur tes épaules !

Le novice éclata de rire :

- Moi, je l'ai laissée sur l'autre rive. Et toi ? L'as-tu vraiment portée tout ce temps ?

Le moine et le novice

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