On croit souvent que le désir doit éclore de lui-même, grâce à des étincelles nommées "climat d’amour sincère", "communication bienveillante" et "romantisme". E si c’était une erreur ?
Les ressorts cachés du désir
Vous croyez que c’est le stress et la fatigue du quotidien qui amenuisent le désir sexuel ? Ce n’est pas ce que j’observe. Comment expliquer qu’une femme tellement épuisée de jongler entre sa vie professionnelle, son rôle de maman et le poids de sa charge mentale pour les soucis du quotidien, au point d’avoir perdu le désir pour son conjoint, soit soudainement prête à rouler plus de 100 kilomètres aller-retour pour retrouver son nouvel amant ? Et qu’avec lui, la passion et l’ardeur soient au rendez-vous : fini la fatigue et les soucis…
Cela donne en effet à réfléchir. On est que rarement fatigué de la sexualité. Ce qui arrive beaucoup plus fréquemment, c’est que l’on soit fatigué de la sexualité que l’on a. Ou plus précisément encore, de celle que l’on croit pouvoir avoir. La nuance est de taille : combien de messieurs recourent-ils aux services de prostituées pour des pratiques qu’ils n’osent pas proposer à leur compagne légitime ? Pourquoi n’osent-ils pas ? Parce que notre époque nous amène à confondre deux dimensions qui pourtant ne se superposent pas : le sexe et les sentiments.
Les règles qui prévalent dans le salon ou la cuisine ne sont pas celles de la chambre à coucher. L’homme se doit d’être tendre, attentionné, doux. Exit les machos ! Il lui faut parler de ses sentiments, ouvrir son cœur et afficher ses vulnérabilités. Quand il a envie de faire l’amour, il le propose gentiment à sa compagne, prend des gants pour ne pas la brusquer, lui susurre des mots doux à l’oreille. Tout sauf risquer de passer pour un goujat, un animal en rut, ou pire, un prédateur sexuel !
L’homme trop prévenant serait-il insipide ?
Mais l’amour physique est un jeu, une joute, une lutte parfois ! L’analogie entre l’étreinte physique et une lutte non dénuée d’une certaine brutalité est du reste souvent explicite dans les jeux de l’amour. Si l’homme n’affiche plus la force de son désir, la femme risque alors de ne plus se sentir désirée. Or, analysez les fantasmes des femmes et vous constaterez que la contrainte y est souvent présente. Non pas qu’elles désirent secrètement qu’on les force, mais elles rêvent de susciter un désir tellement puissant chez l’homme qu’il en perde le contrôle… Être désirable et désirée, voilà un des fantasmes ultimes. Mais aujourd’hui, l’homme nouveau se doit d’être tendre et patient, doux et prévenant. Dont acte dans la chambre à coucher. Alors qu’il consomme en secret des images bien différentes sur internet...
Le monde du désir sexuel n’est pas celui des sentiments. Amour n’est pas désir. À confondre les deux, des générations de thérapeutes insistent sur la communication au sein du couple, en suggérant qu’une meilleure communication verbale va entraîner une meilleure communication charnelle. Erreur, si l’on apprend aux membres d’un couple à mieux communiquer, ils arriveront sans doute à améliorer leur communication. Mais ils n’éprouveront pas plus de désir l’un pour l’autre. Car le désir obéit à d’autres lois que celles de la communication.
La compréhension n’est pas la passion
Le désir se nourrit du manque, se tend dans la distance, s’abreuve à la fontaine des fantasmes inavouables. Il s’émousse dans la proximité, se noie dans la promiscuité, s’éteint dans la routine. Pour que le désir soit vivifié, il est nécessaire de l’entretenir, d’y travailler, et pas forcément sur la communication au sein du couple. À trop se parler, on perd sa part de mystère aux yeux de l’autre… et une part de son attractivité.
Le désir, au même titre que la relation, doit s’entretenir pour lui-même, et les fantasmes en sont un carburant particulièrement énergétique. Des propos certes remuants, mais ô combien porteurs de changements ! Le désir sexuel n’a pas grand-chose de spontané. Il se prépare et s’entretient. Le romantisme qui baigne notre société laisse à penser qu’il apparaît lorsque l’amour est là. Qu’il suffit d’aimer pour qu’il soit au rendez-vous. Or, dès que l’on a saisi qu’il répondait à une préparation, on peut le reprendre en main. Remplacer : Est-ce que j’ai envie ? par Qu’est-ce que je fais pour avoir envie ? Le désir c’est la réjouissance avant la jouissance, une plus-value de notre mental qui nous différencie des animaux.
On pourrait penser qu’il est culpabilisant de prétendre "qu’une femme qui dit qu’elle n’a pas envie est une femme paresseuse". En réalité, c’est plutôt un propos responsabilisant qui a pour but de redonner le pouvoir aux femmes sur leur sexualité. En acceptant que le désir sexuel ne soit pas spontané, mais réponde à une préparation mentale –qui se nourrit de fantasmes n’ayant pas à être fleur bleue- on déculpabilise et redonne le contrôle aux femmes. Cela prête en tout cas à réfléchir.
Les femmes doivent souvent apprendre à jouir malgré leur partenaire, non pas grâce à lui !