Une vieille femme habitait une petite maison située à plusieurs lieues d'une rivière.
Pour y puiser de l’eau, elle devait suspendre chaque jour deux pots à un morceau de bois qui épousait la forme de ses maigres épaules voûtées, faire le chemin aller puis le chemin retour, chargée de son lourd fardeau.
L'un des pots était en parfait état, l’autre fêlé. Le premier ne perdait pas une seule goutte d’eau, le second conservait à peine plus de la moitié de son contenu.
Le premier pot était très fier de lui, le second très triste : malgré tous ses efforts, l’eau ne cessait de lui échapper, doucement, inexorablement. Chaque trajet était pour lui un intolérable tourment, l’accablant chaque jour un peu plus de peine et d’impuissance.
Un jour, alors que la vieille femme le plongeait une nouvelle fois dans la rivière pour le remplir, il ne se sentit pas la force de continuer et dit :
- Je n’en peux plus, abandonne-moi ici.
La vieille femme, étonnée, lui demanda :
- Pourquoi me dis-tu cela mon ami ? Que t’arrive-t-il ? T’aurais-je fait trop travailler, heurté sans m’en rendre compte ?
Le pot lui répondit :
- Rien de tout cela. Vois-tu, je pleure mon inutilité : alors que tu me remplis à ras bord à la rivière, je peux à peine te rendre la moitié de l’eau que tu m’as confiée lorsque nous arrivons à la maison.
La vieille femme sourit, hissa doucement son fardeau sur ses épaules, et lui dit en prenant le chemin du retour :
- N’as-tu jamais remarqué la splendeur de ce chemin ? Chaque année, je plante des graines sur ce côté. Avec l’eau que tu as laissé s’écouler chaque jour, elles sont devenues ces fleurs si gracieuses qui semblent danser avec la brise. Au lieu de contempler mes vieux pas alourdis fouler la terre poussiéreuse, mon cœur danse chaque jour, grâce à toi, dans leur délicate beauté parfumée.