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Catherine

Les "je-sais-tout" ont tout faux

Ils prennent la parole avec arrogance, ne laissent pas les autres s’exprimer, prennent un ton condescendant si vous n’êtes pas d’accord avec eux. L’humilité n’est pas leur point fort. Dommage pour eux. Car cette qualité est associée à une intelligence supérieure, une meilleure mémoire et des capacités de leadership plus développées.


Depuis le début de l’épidémie de Covid-19, on a parfois l’impression d’être entouré d’experts qui détiennent tous la vérité avec un grand V. Et on se dit que, décidément, l’humilité sur le plan intellectuel n’est pas la règle sur les plateaux de télévision ou dans les différents médias, y compris chez les scientifiques.


Ce problème ne se limite pas, et de loin, aux plateaux de télévision. Toutes et tous, nous avons été confrontés un jour à des personnes de notre entourage plus ou moins proche qui ne sont malheureusement pas enclines au doute. Ces gens ont généralement une confiance aveugle dans leurs propres opinions, qu’ils considèrent comme bien supérieures à celles des autres, auxquelles ils n’accordent d’ailleurs que très peu de crédit… Pensez à cette belle-sœur qui vous a parlé, en long, en large et en travers, des déchets nucléaires lors du dernier repas en famille, le week-end dernier. Non seulement elle était persuadée d’avoir fait le tour de la question en regardant un reportage sur une chaîne documentaire, mais quand vous avez voulu nuancer son propos elle est montée sur ses grands chevaux en disant que vous n’y connaissiez rien. Puis, voyant que vous rameniez inlassablement vos arguments sur la table, elle vous a opposé votre niveau d’études, prétendument inférieur au sien… Qu’a-t-elle à y gagner ? D’après ce que nous disent les études de psychologie, pas grand-chose. Au contraire, elle retirerait bien plus d’avantages à faire preuve d’humilité. Parmi les résultats obtenus par les scientifiques qui s’intéressent à cette question, la posture d’humilité intellectuelle est une aide précieuse pour reconnaître que nos propres croyances sont parfois erronées et pour accepter l’idée que nos connaissances ne sont peut-être ni exactes ni fiables.


Quand on critique tout le monde


Mais venons-en d’abord au comportement de dénigrement caractérisé par l’attitude de la fameuse belle-sœur. Des chercheurs ont mis en évidence ce trait caractéristique chez les personnes manquant d’humilité, qui vont systématiquement avoir tendance à dénigrer le caractère, les compétences intellectuelles, voire le statut de leurs contradicteurs pour ne pas prendre en compte leur avis.


Évidemment, cela a des conséquences sur leurs relations avec les autres, puisque par manque d’humilité, elles refusent parfois de s’intéresser aux interlocuteurs qui ne partageraient pas leur avis. C’est bel et bien ce qui est constaté dans les faits : au fil de ces expériences, il a été confirmé que les individus très sûrs d’eux ont tendance à refuser l’idée même de liens amicaux avec leurs contradicteurs. Alors, comment amener votre belle-sœur à respecter vos idées –et vous-même par la même occasion- même si vous n’êtes pas d’accord sur tout ?


On tient peut-être un début de solution. Ils ont tout simplement choisi d’expliquer aux personnes un peu trop campées sur leurs positions les résultats de leurs propres recherches. Bilan : le seul fait d’informer sur les risques d’un manque d’humilité suffit à rendre les gens plus ouverts envers leurs contradicteurs et plus à même de nouer des liens d’amitié avec ceux-ci.


Experts en tout... même dans ce qui n’existe pas


Tout n’est donc pas perdu face aux donneurs de leçons qui savent tout sur tout, en critiquant les avis contraires. Diffuser les conclusions de ce type de recherche (si tant est que l’on soit écouté, certes) pourrait ainsi stimuler l’ouverture d’esprit, en particulier sur le plan religieux ou sociopolitique. Mais l’humilité a bien d’autres vertus, en particulier sur le plan cognitif. En effet, alors que pendant des années on a vu éclore nombre de livres, d’articles et de méthodes de développement personnel vantant la confiance en soi et luttant contre l’excès de modestie, depuis quelque temps certains auteurs considèrent que douter de nos connaissances serait bien au contraire une qualité sur le plan cognitif.


Tout part d’un constat simple : comment savoir ce qui nous reste à apprendre, si on ignore l’étendue de sa propre ignorance ? De plus, il y a fort à parier qu’une capacité à douter s’accompagnerait d’une plus grande ouverture d’esprit, voire d’une plus grande curiosité intellectuelle que chez des individus persuadés de détenir la vérité. Peut-on aller jusqu’à espérer de meilleures capacités d’apprentissage et une meilleure mémoire, en conséquence de cette aptitude ?


Les participants les plus humbles ont-ils une plus grande capacité à distinguer ce qui est vrai de ce qui ne l’est pas ? Des chercheurs ont tenté de répondre à cette question de manière expérimentale, en évaluant les capacités de reconnaissance chez des sujets plus ou moins humbles. Pour cela, ils ont soumis des participants à plusieurs tâches. Tout d’abord, ils devaient compléter une échelle d’humilité intellectuelle, en notant de 1 à 5 des propositions du type : "J’accepte que mes croyances ou mes réactions puissent être fausses" ou encore "Face à des preuves contradictoires, je suis prêt à changer d’avis". Parallèlement, les auteurs ont proposé un questionnaire visant à mesurer la tendance des participants à affirmer leurs connaissances dans des domaines très variés. À cet effet, on leur posait des questions sur des faits réels ainsi que sur d’autres, totalement fictifs. L’idée étant de savoir si les sujets allaient affirmer avoir des connaissances sur des sujets totalement inventés. Car pour les personnes sûres d’elles, il ne s’agit pas juste de maîtriser les sujets brûlants d’actualité, mais aussi parfois d’affirmer tout savoir sur des sujets qui n’existent pas, mobilisant en quelque sorte de fausses connaissances.


Enfin, dans la dernière partie de l’expérience, les participants réalisaient une véritable tâche de mémoire dans laquelle on leur présentait des phrases qu’ils avaient précédemment lues ainsi que d’autres totalement nouvelles, leur tâche consistant à reconnaître les phrases qui leur avaient été effectivement présentées.


Les résultats montrent clairement que les participants les plus humbles ont une plus grande capacité à distinguer ce qui est vrai de ce qui ne l’est pas, ainsi que de meilleures performances mnésiques. La prochaine fois que vous entendrez votre belle-sœur pérorer sur les déchets nucléaires ou les vaccins à adénovirus, consolez-vous en pensant qu’elle en sait probablement moins que vous et que sa mémoire est moins bonne que la vôtre.


Dans une autre étude, des chercheurs soulignent également que l’humilité serait aussi associée à une meilleure capacité d’analyse, un plus grand engagement sur le plan cognitif, une curiosité intellectuelle supérieure ainsi qu’à une plus large ouverture d’esprit et une meilleure motivation à apprendre. Moralité : quand on pense en savoir moins, en apprend davantage.


Mémoire, gratitude et générosité


Vous avez peut-être lu, depuis quelque temps, tel article ou ouvrage de psychologie vantant les bienfaits de la gratitude pour lutter contre le stress, renouer les liens avec autrui ou mieux connaître ses désirs profonds. Au point que certains thérapeutes recommandent de tenir un journal de gratitude au quotidien, dont les effets positifs seraient avérés. Voici une bonne nouvelle : l’humilité et la gratitude seraient intimement liées…


Dans une étude, des chercheurs notent que le degré d’humilité d’un participant permet de prédire jusqu’à quel point il éprouvera de la gratitude envers autrui, et vice-versa. De plus, il existe le même type d’association mais cette fois entre humilité et générosité. Humble, cultivé, reconnaissant et généreux… qui refuserait une telle ribambelle de qualités ? Mais attention, toutes ces recherches risquent bien de vous faire prendre la grosse tête, et de vous rendre aussi peu humble que votre infernale belle-sœur ! Quittons donc un instant votre cas personnel et penchons-nous sur le cas des chefs d’entreprise.


Le leader modeste est puissant


Plusieurs recherches récentes proposent depuis peu aux dirigeants d’entreprise de ne pas se cantonner dans leur statut tout-puissant, sûrs d’eux-mêmes et peu ouverts aux idées de leurs collaborateurs. Ainsi, une étude auprès de 354 salariés d’entreprises de technologie de l’information indique que la créativité des salariés serait bien positivement corrélée au degré d’humilité de leur leader. En effet, on sait que pour être créatifs, des salariés doivent pouvoir être ouverts à de nouvelles idées, remettre en question leur propre point de vue ainsi que celui de leurs collègues. Or, ces chercheurs montrent clairement à quel point l’attitude du leader, en reconnaissant ses erreurs et en favorisant la prise de conscience des problèmes existant dans l’entreprise et des améliorations à apporter, joue un rôle facilitateur dans cette ouverture et favorise l’émergence de la créativité.


Les "je-sais-tout" ne savent donc pas ce qu’ils perdent : de multiples occasions d’apprendre, de devenir plus intelligents, généreux et aptes à entraîner les autres dans des projets collectifs. Mais plutôt que de le leur dire de façon autoritaire, mieux vaut simplement leur exposer les conclusions de ces recherches passionnantes. Rien n’est jamais perdu.

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