La difficulté à identifier et exprimer les émotions
Il est important de mettre des mots justes et précis sur nos émotions, sur nos ressentis, plutôt que des énoncés vagues du type “ça va, ça va pas, ça va bof” ou des jugements du type “c’est scandaleux" ou "il exagère”.
10 à 15 % de la population a des difficultés importantes à identifier et à exprimer ses émotions de manière précise et authentique. Cette incapacité à mettre des mots sur les émotions peut avoir plusieurs sources :
- l’éducation : la censure émotionnelle dans l’enfance, l’absence d’exemplarité des adultes encadrants,
- l’histoire personnelle : un traumatisme non élaboré, une expérience douloureuse à la suite d'une expression émotionnelle authentique,
- la culture : la sensibilité et la vulnérabilité vues comme des signes de faiblesse,
- l’effet de mode “tarte à la crème” du développement personnel, qui engendre un rejet de ces thématiques, voire des moqueries.
L’importance de verbaliser les émotions
Mettre des mots sur ses émotions et ses sentiments permet de donner du sens à ce qui se passe à l’intérieur de nous, de rendre nos expériences internes plus concrètes et de mieux réguler nos émotions. Les verbaliser permet de passer de l’état émotionnel / réactionnel à un état plus raisonné. Exprimer ses émotions est donc bénéfique sur :
- la santé,
- le stress,
- l’agressivité,
- les dépendances (type alcoolisme),
- les relations (les autres nous comprennent mieux et nous comprenons mieux les autres),
- les performances (à l’école, au travail…).
A l’inverse, la difficulté à identifier puis exprimer ses émotions est associée à plus de maladies psychosomatiques et à de moins bonnes relations avec autrui et soi-même.
La granularité émotionnelle
La granularité émotionnelle est la capacité à différencier deux états d’âme proches mais différents. Cette granularité émotionnelle permet de préserver l’organisme de l’usure du stress et de limiter les risques de maladie. Face à des émotions douloureuses, désagréables, le simple fait de nommer les ressentis fait baisser la réactivité de l’amygdale (zone du cerveau qui déclenche les émotions). La capacité à exprimer nos émotions est reliée aux décisions que nous prenons, à la raison. La granularité émotionnelle suppose une double démarche :
- identifier ce qui se passe à l’intérieur,
- mettre des mots sur ce qui est ressenti.
Je vous conseille de :
- vous arrêter régulièrement et de vous poser la question : quelle émotion je ressens ici et maintenant ?
- apprendre à différencier les émotions des opinions et jugements, par exemple : "je ressens de la contrariété ; j’ai peur de perdre le contrôle", plutôt que : "elle n’a aucun respect ; c’est un scandale !"
- comprendre vos états d’âme avec finesse en faisant confiance à votre corps et en prenant conscience de toutes les dimensions d’une émotion : sensations dans votre corps, intensité de l’émotion, pensées, tendance à l’action, besoins insatisfaits à l’origine de l’émotion,
- enrichir votre vocabulaire émotionnel à travers des lectures, des jeux de mime, des listes de vocabulaire…
L’agilité émotionnelle : l’alternative à la pensée positive et à la répression émotionnelle
Il faut réfléchir aux méfaits de la répression des émotions et de la dictature de la pensée positive, qui conduisent à une culture valorisant la positivité constante au détriment d’une culture réellement humaine valorisant la compassion, l’authenticité et la vulnérabilité. L'OMS rapporte que la dépression est la première cause d’invalidité dans le monde, devançant le cancer et les maladies cardiaques. À une époque de grande complexité, de changements technologiques, politiques et économiques sans précédents, les personnes se referment de plus en plus dans des réponses rigides face à leurs émotions.
Dans un sondage conduit auprès de 70 000 personnes, un tiers des gens porte un jugement sur eux-mêmes pour des mauvaises émotions (dites négatives) comme la tristesse, la colère, la peine ou bien essaye de faire taire ces émotions. Nous le faisons envers nous-mêmes, mais aussi ceux que nous aimons comme nos enfants, par exemple, quand nous leur disons : "arrête de pleurer, ce n’est pas grave", ou encore : "ne te mets pas dans des états pareils".
Pourtant, toute émotion a une utilité physiologique au service de la vie :
- la colère répare face à l’impuissance, à la frustration, au deuil, et fait réagir face à l’injustice,
- la peur protège du danger et pousse à l’action (fuir, attaquer, voir se prostrer si ni la fuite ni l’attaque ne sont possibles),
- la tristesse est l’émotion de la séparation et attire la compassion des autres.
Les émotions normales, naturelles, reçoivent un jugement moral : bonnes et positives ou mauvaises et négatives. Être positif est devenu une nouvelle forme de correction morale. On dit à ceux atteints de cancer de "rester positifs". Aux femmes, d’arrêter d’être en colère. Et la liste continue... c’est une tyrannie, une tyrannie de positivité, cruelle et méchante. Et inefficace. Nous nous l’infligeons et nous l’infligeons aux autres.
Le refoulement des émotions et la fausse positivité, malheureusement popularisée par le mouvement de la pensée positive et de la loi de l’attraction, sont des réponses rigides. Elle rappelle que la recherche sur la suppression émotionnelle montre que quand les émotions sont ignorées, elles deviennent plus fortes. Les psychologues appellent cela "l'amplification". Nous ne contrôlons pas nos émotions désagréables en les ignorant : ce sont elles qui finissent par nous contrôler ! La douleur intérieure finit toujours par sortir et quelqu’un paie toujours le prix : nous, nos enfants, nos collègues, nos communautés.
Seuls les gens morts n’ont jamais de sentiments désagréables ou difficiles parce que la nature a doté les humains d’une large palette d’émotions afin de vivre, avec tout ce que la vie comporte d’imprévus.
Seuls les gens morts ne sont jamais stressés, n’ont jamais le cœur brisé, ne connaissent jamais la déception qui accompagne un échec. L‘inconfort est le prix d’entrée dans une vie qui a du sens.
Quand nous mettons de côté des émotions normales pour embrasser une fausse positivité, nous perdons notre capacité à développer l’aptitude de faire face au monde tel qu’il est et non comme nous aimerions qu’il soit. Des centaines de personnes m’ont dit ne rien vouloir ressentir. Ils disent des choses comme : "Je ne veux pas essayer car je ne veux pas être déçu" ou "Je veux juste que ce sentiment disparaisse".
Je leur dis que je comprends mais ces objectifs sont des objectifs de gens morts.