Une femme se promène lentement sur un chemin de montagne.
Sa marche rythmée martèle le sol crissant sous ses semelles dentelées. Le sentier cahote comme un trait de canif grisé au flanc de la montagne. Escarpé. Lascif. L'un après l'autre, les virages enlacent la pente : devant elle la promesse reculée du col, derrière la mémoire furtive des images changeantes.
En aval, la course des hautes herbes ondulant vers un torrent argenté. En amont, la paroi dénivelant et chaotique s'élançant vers le bleu du ciel. Et tout là-haut, le soleil capricieux de l'été s'étirant. Comme une circonstance hasardeuse parmi cet amas de brisure, elle est un point. C'est tout.
Au détour d'un sentier, elle rencontre un vieil ermite, assis devant une vieille bâtisse, recouverte de lierre, comme un champignon posé là et qui n'aurait pas fini de grandir. Il la regarde avec un bon sourire, la salue très obligeamment et lui dit :
- Qui es-tu ?
La femme lui rend son sourire et lui répond :
- Eh bien, tu vois, je suis en vacances.
- Comme c'est bon de prendre son repos, lui dit-il, mais je ne t'ai pas demandé ce que tu fais ici, je t'ai simplement posé la question : Qui es-tu ?
La femme étonnée, réfléchit quelques instants et reprend :
- Je suis directrice de la communication dans mon entreprise.
- Félicitations, lui répondit-il admiratif. Mais vois-tu, je ne t'ai pas demandé ta profession, non, je t'ai seulement posé la question : Qui es-tu ?
Devant cette réponse inattendue la femme s'irrita quelque peu :
- Eh bien, je suis première adjointe au conseil municipal de mon village !
- Oh ! Félicitations, lui dit l'homme. Mais, vois-tu, je ne t'ai pas demandé tes mandats électifs, je t'ai seulement posé cette seule question : Qui es-tu ? Fâchée la femme répondit sèchement :
- Je suis la mère de trois enfants.
- Comme c'est beau d'avoir donné la vie à trois êtres humains ! Mais, vois-tu, je t'ai seulement posé cette question, reprit l'homme imperturbable : Qui es-tu ?
En colère, elle tourna les talons et ne revit plus jamais l'ermite.
Depuis, chaque matin, on dit qu'elle a pris l'habitude de se sourire devant son miroir.