Satyânanda est moine à Rishikesh, au bord du Gange.
Chaque soir à l'heure de la prière, il descend jusqu'au fleuve sacrée et accomplit les rites familiers. Il sème des fleurs sur l'onde, brûle l'encens dont le parfum enivre les dieux, confie au courant une nacelle de feuilles où brûle de l'huile.
Puis il s'installe, son chapelet de cent huit grains à la main, et répète inlassablement :
- Shivo'ham, Shivo'ham.
Voilà plusieurs jours que Satyânanda a remarqué un enfant qui, chaque soir aussi, vient s'asseoir non loin de lui et le regarde.
Satyânanda se sent investi du devoir de transmettre : il connaît un chemin vers l'Absolu. Il doit donc instruire cet enfant innocent qui n'a pas pu venir là, près de lui, par hasard.
Satyânanda est fier d'avoir été désigné par Dieu lui-même pour enseigner. Il appelle l'enfant, partage avec lui l'offrande sacrée qu'il a reçue tout à l'heure en sortant du temple. Puis demande :
- Pourquoi viens-tu ici chaque soir ?
- Pour savoir.
- Que veux-tu donc savoir ?
- Combien de temps il faut pour devenir un saint ?
- Cela dépend des personnes. Pour certains un instant suffit, pour d'autres, il faudra plusieurs vies.
- Pourquoi ?
- A chacun son chemin, son pas, son heure juste.
L'enfant s'étonne.
- Je ne t'ai jamais vu sur le moindre chemin. Tu restes là, assis !
- Cheminer n'est pas marcher d'ici à là mais pratiquer certaines techniques.
- Quelle est ta technique ?
- Je répète un mantra, une phrase dont je dois assimiler le sens.
- Et quel est ton mantra ?
- Shivo'ham : je suis Shiva. Je suis Dieu lui-même.
- Tu dis cela tous les jours, des heures durant ?
- Oui, bien sûr.
- Et tu ne le sais pas toujours pas après tout ce temps ? Moi je suis Shankar. Je n'ai aucun besoin de me le répéter. Si tu étais Shiva, tu n'aurais pas besoin de le dire sans cesse !
Satyânanda eut juste le temps d'avaler sa salive avant que l'enfant demande :
- Est-ce qu'un saint peut mentir ?
- Certes non !
- Comment pourrais-tu être un saint si tu ne crois même pas ce que tu dis ?